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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/122

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tel par les quatre-vingts centièmes au moins du genre humain, contre lequel ne proteste aucune croyance établie ou organisée[1] ? » Eh bien ! oui, ce quelque chose existe. Il y a des élémens du progrès susceptibles d’être définis et régulièrement constatés.

Certes, s’il y a un grand fait continu, toujours croissant, évident comme la lumière, c’est celui dont l’anthropologie a retrouvé les traces dans les profondeurs les plus reculées des âges, et que nous pouvons vérifier avec la plus exacte régularité du jour où l’homme a pris conscience de lui-même dans l’histoire : c’est la nature de l’intelligence perfectible et de ses produits transmissibles à travers les âges. — Que de chemin parcouru depuis le grossier empirisme des premiers siècles jusqu’à l’éveil de l’esprit scientifique en Grèce, et depuis l’heure où la renaissance a produit l’essor de l’intelligence moderne, où la vraie méthode est née, jusqu’à cette magnifique explosion d’inventions et de découvertes de tout genre dont les expositions universelles de Londres, de Paris et de Vienne ont donné depuis un quart de siècle l’étonnant spectacle au monde ! Au fond, c’est le même principe qui a travaillé sans relâche depuis l’instant où l’homme errant et nu a créé la première arme et le premier vêtement : ce principe, c’est l’esprit. Quand il apparaît au plus loin des âges, c’est tout un ordre nouveau qui se révèle dans le monde, supérieur même au principe de la sélection naturelle, si l’on en croit M. Wallace, grand partisan de cette loi. Voici en quels traits saisissans ce fait est signalé dans un mémoire que M. Lubbock traite d’admirable. « Dès le moment où la première peau de bête a été employée comme vêtement, où la première lance grossière a été faite pour servir à la chasse, la première semence jetée dans le sol, la première pousse d’arbre plantée, dès ce moment une grande révolution a été accomplie, une révolution qui n’avait pas eu sa pareille dans tous les âges précédens de l’histoire du monde, car un être maintenant existait qui n’était plus nécessairement sujet à changer avec les changemens de l’univers, un être qui était, dans un certain degré, supérieur à la nature, puisqu’il possédait les moyens de contrôler et de régler son action, et pouvait se maintenir en harmonie avec elle, non en modifiant sa forme corporelle, mais en perfectionnant son esprit[2]. » Ce jour-là selon M. Wallace, l’homme s’affranchit de la loi de sélection, qui règle tout le reste de la nature. Les variations organiques devenaient inutiles à qui portait dans sa pensée le principe de ses progrès nécessaires et la mesure de sa souveraineté.

  1. Bagehot, Lois scientifiques du développement des nations, p. 225.
  2. Wallace, sur l’Origine des races humaines, — Revue anthropologique, mai 1864.