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croissante, une force antagoniste qui détruit partiellement et contrebalance la tendance de tout être et de tout groupe humain à rendre sa condition meilleure. Cette loi de la contradiction semble être inhérente au progrès, qu’on l’explique d’ailleurs par des considérations dynamiques, comme M. Spencer, ou par des raisons tirées de l’ordre moral, telles que les variations et les écarts que produit la liberté. — Quoi qu’il en soit de l’explication, le fait n’est pas contestable ; la sagesse est de ne pas l’exagérer et de le restreindre à sa juste mesure. Un certain nombre d’esprits, des bouddhistes de la métaphysique à la façon de Schopenhauer, des politiques incompris, des économistes de parti ou de secte, opposent à l’idolâtrie insensée du progrès le dogme non moins faux de la décadence fatale des nations après une courte époque de prospérité. Il faut se défier de ce pessimisme, qui est une école de découragement où s’enseignent le mépris de l’humanité et l’inutilité de l’effort individuel. Gardons-nous d’incliner notre raison et notre liberté devant le fatalisme du mal, pas plus que nous ne devons les incliner devant le fatalisme du bien. Ne préparons pas cette lâche excuse à notre paresse ou à nos défaillances. Quoi qu’en disent tous ces sceptiques, et malgré les justes restrictions à faire, il reste encore une très large part de progrès parfaitement vérifiable, régulier, continu, à moins de perturbations accidentelles ou de cataclysmes que la science devra de plus en plus prévoir, que la politique devra de mieux en mieux conjurer. Et ce progrès, il n’est pas seulement cher à ceux qui l’admirent ou qui s’y dévouent, il l’est aussi, pratiquement au moins, à ceux qui s’en servent sans y penser ni s’en étonner ; il l’est même à ceux qui font profession de le mépriser. Il est devenu partie intégrante de leur vie, de ce bonheur même qu’ils craindraient de troubler par un effort ou un soupir vers le mieux.


III

Nous avons classé à part certains élémens incontestables du progrès comme une portion réservée du trésor humain, à peu près garantie sinon contre toutes les controverses possibles, du moins contre les revendications d’une science raisonnable ; nous allons pénétrer maintenant dans de nouvelles sphères de l’activité humaine où le progrès est contesté, soit qu’il n’existe réellement pas là soit qu’existant en fait il échappe à une rigoureuse détermination, en. raison de l’essence mobile des élémens dont il se compose, du libre caprice, peut-être même de la nature supérieure des facultés qu’ils mettent en jeu.

Et d’abord y a-t-il un progrès en morale ? De nés jours, ce