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cette boutade : « je serais un Néron en Allemagne, et je jetterais mon diadème dans un fleuve, qu’au commandement apporte ! le plus enragé de ceux qu’on accuse de démagogie plongerait comme un barbet fidèle et me rapporterait ma couronne ! » Mais il est aussi parmi les nationaux-libéraux des politiques qui font en gémissant le sacrifice de leurs opinions libérales à l’inéluctable nécessité. Ils savent bien qu’on perd son temps en parlant à M. de Bismarck de réformes constitutionnelles : l’empire a été organisé par lui et pour lui ; il se plaît dans cette maison, dont il a donné le plan, et le moindre embellissement l’en ferait sortir. Or qui serait assez osé, assez peu patriote, pour provoquer une telle crise ? Il faut donc se résigner, et l’on se résigne, non sans songer avec tristesse que le temps s’écoule, que le nouvel empire est toujours affublé de cette forme imparfaite imposée par le chancelier au retour de la campagne de France. Tous ne cèdent pas aussi docilement à la force des choses. La fraction du parti qui a pour chef M. de Bennigsen subit avec une abnégation parfaite jusqu’aux caprices du chancelier, mais la fraction Lasker se cabre de temps en temps à la voix de son chef. Le « petit Sémite, » disent les féodaux de la chambre des seigneurs, est d’humeur indépendante, parce qu’il est affranchi de tout espoir de devenir ministre dans un empire dont le chef, se croit institué par Jésus-Christ et prend sa couronne, comme a fait le roi Guillaume, « de la table du Seigneur. »

Au national-libéral, M. de Bismarck offre, en dédommagement de ses chagrins et pour le réconforter dans sa patience, la guerre contre l’église ; mais l’église a des champions de taille à la défendre, c’est la fraction du centre, qui compte à peu près soixante-dix membres. L’aspect de la travée centrale, où elle siège, est tout autre que celui de la gauche : on y voit des robes de prêtres et des tenues de gentilshommes. Une vingtaine de seigneurs hautement titrés, des propriétaires de biens nobles, des magistrats, quelques grands fonctionnaires, même des dignitaires de cour, composent la majorité du parti. Il a, pour suppléer à l’infériorité du nombre, des orateurs qui sont toujours sur la brèche. On me montre le docteur Reichensperger : c’est la figure et l’attitude d’un parlementaire catholique-libéral, et on ne peut, en le voyant, ne pas songer au président actuel de notre assemblée nationale. M. Windthorst circule entre les bancs du centre, allant de l’un à l’autre, comme un chef de parti : il a passé la soixantaine ; sa tête chauve est enfouie dans ses épaules, il porte des lunettes à branches noires, derrière lesquelles brillent des yeux pleins de vivacité. C’est l’orateur laid et spirituel qui se retrouve dans tous les parlemens du monde.

Sur cette fraction du centre s’accumulent les colères de M. de Bismarck, des nationaux-libéraux et des progressistes. Elle les porte