Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allègrement ; mais de quel crime est-elle donc accusée ? et que représentent dans le nouvel empire ces hommes à la face desquels on jette tous les jours le reproche de trahison ? Ils veulent, disent leurs adversaires, mettre l’empereur aux pieds du pape, imposer à l’Allemagne les doctrines du Syllabus, ramener les jésuites et l’inquisition, proscrire la liberté scientifique, convertir de gré ou de force luthériens et calvinistes. Pour arriver à leurs fins, tous les moyens leur semblent bons : ils demandent la réintégration de l’Autriche dans l’empire, afin de s’appuyer sur elle contre la Prusse ; ils regardent d’un œil sympathique la France, qui se relève et met son avenir sous la protection du sacré cœur de Jésus ! — On reconnaît là l’exagération d’un langage de parti. Les catholiques ne sont point traîtres à la patrie allemande, car le sang des Bavarois, des Westphaliens, des Rhénans et des Silésiens a coulé abondamment sur les champs de bataille de France ; leur bourse s’est plus largement ouverte que celle des évangélistes à toutes les souscriptions nationales ; ils ont eu pour nous, même après la défaite, de dures paroles, et il ne semble point, à lire les écrits de Mgr de Mayence, que le prélat ait moins de haine contre nous que les gallophages des universités. Il est vrai pourtant que les hommes du centre sont les plus redoutables ennemis de l’empire sous la forme que lui a donnée M. de Bismarck. Dans tous les pays du monde, mais nulle part autant qu’en Allemagne, les questions religieuses sont graves. De même qu’en France la foi catholique est plus vive où le protestantisme a des adhérens, la rivalité des deux confessions tient éveillée en Allemagne la ferveur religieuse. J’ai vu à Aix-la-Chapelle et à Cologne, devant de lamentables crucifix dont les bras tendus par le poids du corps semblent près de se déchirer, dont les plaies béantes laissent voir les couches de chair vive traversées par le fer, prier des catholiques à genoux sur la dalle, les bras étendus en croix ; ni l’artiste qui a sculpté l’image divine, ni le fidèle qui se prosterne devant elle, ne sont des catholiques de foi superficielle. Les victoires de la Prusse protestante, les déclamations des prédicateurs officiels du roi Guillaume sur le triomphe de l’évangélisme, ont encore échauffé l’ardeur de ces sentimens. Que la politique les exploite aujourd’hui, comme le prétendent les nationaux-libéraux, un homme de bonne foi ne saurait le nier, mais en Allemagne politique et religion ont toujours été mêlées. Aux XVIe et XVIIe siècles, les princes allemands ont conquis leur indépendance en combattant pour la réforme. Aujourd’hui les rôles sont renversés. Le catholicisme, mis en état de minorité par les événemens de 1866, identifie sa cause avec celle des princes dépouillés ou menacés, et veut réduire au strict nécessaire les attributions du pouvoir impérial.