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leur querelle. Ni les ennemis acharnés, ni les amis inquiétans, don plus fatal encore, ne lui ont manqué, et, à l’exception d’une très petite république, l’Europe entière persiste à ne la point admettre dans sa société. Aussi, sur la foi de ces pronostics, les gens qui aiment à vaticiner ne lui accordaient pas vingt jours d’existence. Cependant, quels que soient ses futurs destins, elle est encore debout, et sa santé, qui a résisté à de cruelles atteintes, paraît s’être raffermie par la lutte. Si elle gagne son procès, elle devra tout à elle-même ; elle pourra se vanter que son courage et son désir de vivre ont tout fait, que ni les étoiles ni les hommes ne l’ont aidée.

À qui des radicaux ou des républicains appartenait légalement la république proclamée à Madrid le 11 février 1873 ? Les premiers avaient des droits sérieux à faire valoir. Sans leur adhésion, sans leur concours, rien n’aurait pu se faire ; ces royalistes récemment convertis disposaient de la majorité dans les cortès, et la question avait été tranchée par cette majorité. Toutefois leurs anciens adversaires et leurs nouveaux alliés alléguaient qu’un parti qui a longtemps combattu une forme de gouvernement et ne l’accepte que de guerre lasse, par une sorte de résipiscence tardive, est mal placé pour présider à son installation, — que de ci-devant ministres du roi Amédée seraient en butte aux perpétuelles suspicions des patriotes, que d’ailleurs, si les radicaux avaient voté la république, les circonstances qui venaient de rendre son avènement inévitable avaient été adroitement ménagées par les républicains, qu’aux républicains seuls revenaient les honneurs de la victoire. Il est certain que leur chef, M. Figueras, habile manœuvrier politique, s’était chargé du premier rôle dans l’intrigue parlementaire dont l’abdication du roi Amédée fut la conséquence. Convaincu que le jeu même des institutions devait amener fatalement la chute de la royauté, on l’avait vu réprouver les folles insurrections fomentées par les violens et les incorrigibles de son parti, recommander à tout son monde la patience et l’attention, dont il attendait plus que d’une émeute, et on lui attribue généralement le mérite d’avoir inventé ce fameux coup de partie, cette affaire des artilleurs qui contraignit le roi à s’en aller.

Les radicaux se flattaient que leurs services seraient reconnus ; mais ils n’osaient pas trop les vanter. La politique elle-même a ses pudeurs, et il est difficile de dire tout haut, même en espagnol : « Nous vous avons sacrifié notre roi ; ce beau trait mérite récompense. » En revanche ils alléguaient, non sans quelque apparence de raison, que les républicains ne pouvaient se passer de leur alliance, qu’elle leur était nécessaire pour donner à la république une