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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/270

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normal d’un grand pays ? Il n’y a qu’un moyen de l’améliorer. Distribuons l’autorité dans tout le corps social ; émancipons, comme le veut la raison, le municipe et la province, afin que le gouvernement, toujours porté à la tyrannie, ne soit plus libre d’obéir à son penchant. » Le célèbre orateur appuyait son raisonnement de considérations sur la force de gravitation qui régit les mondes, sur l’indépendance relative des divers organismes du corps humain. Il oubliait qu’en politique il faut se défier des comparaisons presque autant que des adjectifs.

À ces argumens épaulés de métaphores, on répondait que ce qu’il y avait de juste dans les raisons des fédéralistes militait en faveur de la décentralisation administrative, laquelle a été pratiquée avec bonheur dans plus d’un état unitaire. On répliquait encore qu’il est insensé de prétendre imposer, sur la foi d’une théorie, des institutions à un peuple sans tenir compte de ses qualités et de ses défauts, qu’un gouvernement muni de pouvoirs étendus était nécessaire pour contenir ce penchant à l’indiscipline et à l’isolement politiques qui semble propre à la race espagnole, — témoin le Mexique, condamné par le fédéralisme à l’éternelle anarchie, à de perpétuels démembremens. — Relâchez les liens de solidarité entre nos provinces, disait-on, et l’Espagne se disloquera. Comme le malade de M. Purgon tombait de la bradypepsie dans la dyspepsie et de la dyspepsie dans l’apepsie, le fédéralisme produira le provincialisme, qui se tournera lui-même en cantonalisme, et vous verrez bientôt chaque ville de chaque canton affecter l’autonomie. Eh quoi ! le carlisme, ce grand ennemi de la société moderne, voudrait nous ramener au despotisme de Philippe II ; plus réactionnaires encore que lui, vous voulez que nous renoncions à notre unité, prix de tant d’efforts et de sacrifices, pour retourner à toutes les confusions du moyen âge. — « Vous savez qui nous sommes, s’écriait un députe des Canaries, M. Léon y Castillo ; vous savez quel esprit d’individualisme outré nous anime, et combien nous avons de peine à étouffer dans chaque commune les luttes de famille à famille et de parti à parti, dans chaque province les rivalités de ville à ville dans la Péninsule tout entière les conflits d’amour-propre ou d’intérêts entre provinces, et vous osez désirer que la loi consacre nos maux, légitime nos erreurs ! Que nous parle-t-on du moyen âge ? Le fédéralisme ne peut manquer de nous réduire à la vie de tribu ; l’Espagne cessera d’être une puissance européenne, pour se transformer en une vaste Kabylie. » Ce qui s’est passé depuis n’a que trop justifié ces lugubres prédictions.

Les opposans étaient également fondés à remarquer qu’on a pu voir des états indépendans supprimer les barrières qui subsistaient