Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saisi, rendu les divers galbes. Née au monde pour souffrir, c’est, nous dit-elle, par l’entremise de la douleur que notre pauvre nature humaine connaît l’infini ; mais avant de succomber au martyre qui l’attend, la noble femme reçoit les honneurs du triomphe. « Elle était vêtue comme la sibylle du Dominiquin : un châle des Indes tourné autour de sa tête, et ses cheveux, du plus beau noir, entremêlés avec le châle ; sa robe était blanche, une draperie bleue se rattachait au-dessous de son sein. Ses bras étaient d’une éclatante beauté, sa taille grande, mais un peu forte, à la manière des statues grecques, caractérisait énergiquement la jeunesse et le bonheur, son regard avait quelque chose d’inspiré… Elle donnait à la fois l’idée d’une prêtresse d’Apollon qui s’avançait vers le temple du soleil, et d’une femme parfaitement simple dans les rapports habituels de la vie. » Les riches tissus et les camées, l’or et la pourpre, quel appareil conviendrait mieux à cette muse des régions méridionales qui, même au plein de la passion, saura maintenir les droits de la couleur et du pittoresque vis-à-vis de son amant, imbu de tous les préjugés du nord ? « Ce beau ciel, ces Romains si enthousiastes, et par-dessus tout Corinne électrisaient l’imagination d’Oswald. Il avait vu souvent dans son pays des hommes d’état portés en triomphe par le peuple ; mais c’était pour la première fois qu’il était témoin des honneurs rendus à une femme illustre seulement par les dons du génie. Son char de victoire ne coûtait de larmes à personne, et nul regret comme nulle crainte n’empêchait d’admirer les plus beaux dons de la nature, l’imagination, le sentiment et la pensée. »

A la description du costume, on s’était rappelé d’abord le fameux portrait de Mme de Staël par Gérard ; ces lignes complètent le renseignement, et nous savons de quel nom la superbe héroïne se nomme dans la vie privée. Unir, confondre en un même sentiment d’ivresse les félicités de l’amour et du génie, tel fut le rêve de Corinne. A cet idéal, elle touche un instant, mais cet instant n’est qu’un éclair. Le myrte et le laurier n’ont jamais fait bon ménage ensemble, et de la sublime inspirée il ne reste bientôt qu’un pauvre cœur brisé protestant dans le vide contre une société que l’orage. emporte.


III

Qu’est-ce que cette société, ou, pour mieux dire, qu’est-ce que la société, et que signifie cet éternel combat de l’individu, dont nous voyons à tout propos se renouveler le spectacle ? A d’autres, plus forts que nous, de définir cette énorme, bizarre, absurde et pourtant salutaire complication de coutumes, de vues, de mesures d’origines diverses, — celles-ci vieilles comme le monde, celles-là d’hier, celles-ci naturelles et par conséquent compréhensibles, celles-là