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l’empire par divers chemins. Reste à savoir maintenant qui sera en définitive maître du vaste empire germanique : sera-ce la démocratie ou la monarchie, un démagogue obscur sorti d’un club ou le roi de Prusse ? »

Pour qu’un homme d’état voyant les choses de haut ait été amené en 1849 à se poser de pareilles questions, il faut bien que la Prusse fût considérée dès lors comme assurée de la possession prochaine de l’Allemagne. Ce n’était plus qu’une affaire de forme ; la Prusse avait substitué, en apparence du moins, les procédés légitimistes aux procédés révolutionnaires, elle préparait son agrandissement sans sortir des sphères mystiques du droit divin, elle s’insinuait doucement, discrètement, elle avançait toujours, elle allait toucher le but ; en un mot, les choses étaient déjà parvenues à ce point que Donoso Cortès, spectateur clairvoyant de ce manège et fort effrayé des conséquences de l’unité germanique, se demande si le roi de Prusse, au lieu de travailler pour sa maison, n’aura pas travaillé pour les démagogues à venir. Ce n’est pas au pressentiment de l’illustre homme d’état que je m’attache en ce moment, je retiens seulement de ses paroles un témoignage ajouté à beaucoup d’autres, d’où il résulte que la Prusse, au mois de mai 1849, semblait marcher tout droit à l’empire d’Allemagne, et que nul obstacle, d’après le sentiment des meilleurs juges, ne paraissait devoir l’arrêter.

Maintenant ouvrez les mémoires de Bunsen à la date que nous venons d’indiquer, interrogez tout ce qu’il a écrit pendant les dix-huit mois qui suivent, parcourez ses lettres, feuilletez son journal ; vous n’y trouverez que des cris de douleur et de honte : « la Prusse est déshonorée ! la Prusse est revenue aux jours de 1806 ! C’en est fait de la Prusse et de l’Allemagne ! » Voilà un revirement étrange ; que s’est-il donc passé ? La réponse à cette question est l’histoire même que j’ai à raconter aujourd’hui, l’histoire des humiliations de la Prusse de 1849 à 1851.


I

Le 27 avril 1849, le roi de Prusse avait refusé la couronne impériale que lui offrait à titre héréditaire l’assemblée nationale de Francfort ; un mois plus tard, le 26 mai, reprenant l’affaire sous une autre forme, il contractait une alliance avec le roi de Hanovre et le roi de Saxe, en vue de donner un premier point d’appui à cette unité germanique réclamée par toutes les voix de l’opinion. C’était exactement l’inverse de la situation précédente. L’assemblée de Francfort, dans l’intérêt de l’unité allemande, et sans s’inquiéter des scrupules personnels de Frédéric-Guillaume IV, avait voulu contraindre le roi de Prusse à prendre la direction de l’empire ; cette fois le roi