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efficacement. » Examinée à la lumière de ce principe, la question de l’unité allemande leur paraissait tout à coup simplifiée. Ils se disaient que l’unité allemande serait condamnée d’avance, si elle se faisait par les mains de la révolution ; pour que ce fût une œuvre durable, il fallait qu’elle se fît à l’aide et au profit de l’état germanique et chrétien ; or le vrai représentant de l’état germanique et chrétien, aux yeux du général de Radowitz comme aux yeux du baron de Bunsen, c’était le noble prince qui devait régner sous le nom de Frédéric-Guillaume IV. C’est en 1825 que M. de Radowitz était devenu l’ami du prince ; de 1825 à 1840, pendant les quinze années qui ont précédé l’avènement de Frédéric-Guillaume IV au trône de Prusse, et plus tard, de 1840 à 1848 ; ces idées, poursuivies avec amour, élaborées avec une sorte de dévotion, étaient devenues pour les deux rêveurs tout un programme de philosophie politique, un credo du droit divin à l’usage de la Prusse. Si on publie un jour la correspondance de Frédéric-Guillaume IV avec M. de Radowitz pendant les diverses missions que ce dernier a remplies à Francfort, à Carlsruhe, à Vienne, à Paris (1836-1848), nous pouvons affirmer d’avance qu’on y trouvera la contre-partie de la correspondance de Bunsen. Tandis que Bunsen répétait sans cesse à Frédéric-Guillaume : « Pourquoi vous défier de ce que la révolution vous apporte ? » M. de Radowitz ne cessait de l’affermir dans cette défiance. Un esprit, je ne dis pas plus scrupuleux, je dis plus clairvoyant que M. de Radowitz, aurait éprouvé bien des doutes au sujet de son système ; il se serait demandé si l’unité allemande, de quelque façon qu’elle s’accomplît, ne devait pas aboutir à la suppression de plusieurs trônes, par conséquent à quelque chose d’illégitime. Tel est l’enthousiasme du rêveur que cette contradiction ne l’arrête pas. Sa foi n’est pas même effleurée par ce scrupule. Il poursuit l’unité allemande, œuvre révolutionnaire, en affichant la prétention de ne rien devoir à la révolution. Prince royal ou roi de Prusse, Frédéric-Guillaume est à l’unisson des pensées de son ami. Leur correspondance n’offrira donc pas un antagonisme d’idées, comme le débat auquel on assiste dans la correspondance avec Bunsen ; ce sera une harmonie. Le prince et le conseiller sont parfaitement d’accord ; l’exaltation est égale chez l’un et chez l’autre, car ils sont également persuadés qu’ils tiennent leur mission d’en haut. Le conseiller, c’est le prophète ; le prince, c’est l’oint du Seigneur, et tous les deux, d’une même voix, ils chantent le même cantique.

Ce concert d’enthousiasme et d’espérances durait depuis bien des années lorsque 1848 vint mettre Frédéric-Guillaume IV en demeure d’exécuter ses desseins. De près ou de loin, M. de Radowitz, toujours présent à la pensée de son royal ami, entretenait ses rêves et son ardeur. Quelques semaines après la tragique journée du