Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porter, il me dit : Monsieur, dans ce moment cette lettre ne vous servirait à rien, car la princesse ne voit personne, elle est innamorata ! » Point de pruderie comme en Angleterre, de coquetterie comme en France : le naïf dans sa crudité. « Les femmes ne cachent pas leur sentiment et portent une sorte d’innocence dans la galanterie même. Elles ne se doutent pas non plus du ridicule, surtout de celui que la société peut donner. Les unes sont d’une ignorance telle qu’elles ne savent pas écrire et l’avouent publiquement ; en revanche, parmi celles qui sont instruites, vous en verrez qui sont professeurs dans les académies, et, si vous vous avisez de rire, on vous répondra : Qu’y a-t-il de mal à savoir le grec ? » Stendhal, je le répète, n’a pas dit mieux ; a-t-il seulement si bien dit ? Même verve primesautière et géniale dans la façon d’aborder la question d’art. Aussi doit-on surtout envisager de tels ouvrages avec l’œil du critique. « Je me sens poète non pas seulement quand un heureux choix de rimes ou de syllabes harmonieuses, quand une heureuse réunion d’images éblouit les auditeurs, mais quand mon âme s’élève, quand elle dédaigne de plus haut l’égoïsme et la bassesse, enfin quand une belle action me serait plus facile ; c’est alors que mes vers sont meilleurs. Je suis poète lorsque j’admire, lorsque je méprise, lorsque je hais, non par des sentimens personnels, non pour ma propre cause, mais pour la dignité de l’espèce humaine et la gloire du monde. » Est-ce Corinne ou Sapho qui parle ainsi ? Non, c’est Mme de Staël, c’est elle encore dont nous retrouvons l’esprit dans ces lignes d’un si fin et si pénétrant dilettantisme : « l’italien a un charme musical qui fait trouver du plaisir dans le son des mots presque indépendamment des idées. Ces mots d’ailleurs ont presque tous quelque chose de pittoresque, ils peignent ce qu’ils expriment. Vous sentez que c’est au milieu des arts et sous un beau, ciel que s’est formé ce langage mélodieux et coloré. Il est donc plus aisé en Italie que partout ailleurs de séduire avec des paroles sans profondeur dans les pensées et sans nouveauté dans les images. La poésie, comme tous les beaux-arts, captive autant les sensations que l’intelligence. »

Ce que j’admire dans ce livre, à côté de la noblesse des sentimens, c’est la superbe compréhension des choses d’art. Michelet peut avoir plus de flamme, de pittoresque, mais ses vues ne sont pas plus larges. Impossible de mieux caractériser la différence de l’art catholique et de l’art protestant, d’établir plus ingénieusement les bases de la discussion, car c’est du contraste même de ces deux natures, de Corinne et d’Oswald, que l’auteur fait jaillir ses argumens. Au milieu de ce peuple bon enfant, plastique et musical, très peu préoccupé de sa dignité, et, si l’on veut, parfaitement immoral,