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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/35

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le noble lord se sent dépaysé : son rigorisme anglican se heurte et butte à chaque pas ; de quelque côté qu’il aille et se retourne, c’est le paganisme qui se montre à lui. Tout à l’heure, sur les portes mêmes de Saint-Pierre, n’a-t-il pas vu des bas-reliefs tirés des Métamorphoses d’Ovide ? et le voici maintenant dans la chapelle Sixtine en présence du Dieu de Michel-Ange, un Jupiter, un Zeus ! Et ces sibylles, ces prophètes inspirés, farouches, menaçans, qu’est-ce que leurs attitudes tragiques ont de commun avec le sentiment d’humilité qu’on s’attendrait à rencontrer dans un temple chrétien ? Oswald ne se dit pas que c’est Michel-Ange qui a raison, et que c’est lui, l’insulaire borné, qui se trompe et ne comprend point, car ce Dieu de la Bible, l’asiatique, fulminant et vindicatif Jéhovah, ne fut jamais l’être invisible, impondérable, imaginé par le protestantisme du nord, et c’est l’œuvre et le génie du Prométhée de Florence de l’évoquer à nos yeux sous ces traits ; mais ce que son amant ignore ou méconnaît, Corinne, femme et poète, l’a senti. Elle sait, — et d’elle il faut qu’il l’apprenne, — que toutes ces figures, belles comme des héros d’Homère, mais empreintes d’un idéal plus énergique de sauvagerie et de virilité, sont les propres idées de Michel-Ange faites hommes. Où les autres emploient l’arabesque et les fleurs, il se sert, lui, du corps humain, et chacune de ses pensées représente une de DOS souffrances. Les anciens reproduisaient sans cesse leurs olympiens fortunés ; il peint l’homme écrasé sous les fatalités sans nombre et ployant sous le faix de l’avenir comme sous le fardeau du passé.

Admirable et cent fois libéral, le génie de la renaissance, qui permet à chacun de se développer en pleine indépendance et laisse à l’artiste la faculté de puiser aux sources saintes des sujets et des formes qu’il emploie pour exprimer ses idées religieuses personnelles ! C’est à ce caractère humain et non païen que le catholicisme doit les splendeurs de son art, cet art qui remplit l’histoire de son éclat et contre lequel ne prévaudront jamais ni les sermons du protestantisme, ni ses murs blanchis à la chaux ! Et c’est Mme de Staël, une protestante, mieux encore, une enfant du XVIIIe siècle, qui se charge de soutenir cette thèse à la gloire du catholicisme. Ne nous arrêtons pas à la contradiction, elle n’est qu’apparente, et, pour se l’expliquer, il suffit de songer aux années d’épreuves et d’exil qui furent pour Corinne de précieuses années d’apprentissage. Le mal, on le sait, produit souvent le bien en ce monde, de même que du bien souvent sort le mal.

Cette vérité-là n’est point neuve, hélas ! ni consolante, ce qui prouve incontestablement qu’elle est vraie. Rappelons-nous la lettre du ministre de Napoléon citée au commencement de cette étude :