Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même que des indications par chiffres de chapitres. Pour prouver un vol à des jurés, un ou deux bons corps de délit exposés sur la table sont plus probans que la désignation des maisons qui ont été le théâtre des exploits du voleur, et dont on se contenterait de donner le numéro en disant : « Allez-y voir ! » Au reste, le savant M. Nourrisson se range à cette opinion, que Machiavel a fait une théorie de la tyrannie, ce qui ne paraît ni entièrement vrai ni tout à fait équitable.

Voici d’un autre côté que M. Pietro Fangani, un maître de la langue toscane, de concert avec M. Passerini, écrivain très versé dans la connaissance des archives, publie du secrétaire florentin une édition qui contiendra les documens nouveaux venus à la lumière depuis quinze ans, édition longtemps attendue, décrétée au lendemain de la révolution de 1859 par un arrêté du gouvernement provisoire. Il est remarquable que Florence, aussitôt qu’elle s’est sentie libre, ait demandé une réimpression complète, sans réticence aucune, de son célèbre publiciste : habitude bien italienne que celle de célébrer un événement par la publication somptueuse d’un classique ! Ici toutefois c’était comme un anneau qui rattachait l’Italie moderne à celle du XVIe siècle et l’unité enfin réalisée aux premiers projets unitaires qui aient pris naissance dans ce pays. Ces treize années employées à préparer une édition définitive sont une image de la lenteur avec laquelle la lumière se fait sur les intentions de l’auteur du Prince. Est-il possible qu’on en soit encore à les ignorer ?


I

Pourquoi Machiavel ne s’est-il pas raconté lui-même, comme l’ont fait tant d’autres en Italie, comme l’a fait son ami Guichardin, dont les confidences, après bien des scrupules de la famille et malgré la défense du vieil ancêtre, ont été livrées au public[1] ? Pourquoi n’avons-nous pas dans les formes une autobiographie de Machiavel ? S’il l’eût écrite, s’il eût pu prévoir les ténèbres que le changement des choses et des hommes a répandues sur ses œuvres principales, il nous semble qu’il aurait pu s’exprimer en ces termes : « On doute si j’ai été un fidèle républicain ou un intrigant besoigneux qui s »est mis à la suite des Médicis. Lisez ma correspondance, vous verrez que j’avais consacré toutes les forces de mon esprit au service non pas d’une opinion, mais de mon pays de Florence d’abord, et puis de l’Italie entière. J’avais un autre but, qui me paraissait encore plus élevé, la science. Les Italiens du XIXe siècle, même quand ils lisent un roman, une poésie, quand ils assistent à un drame, à une comédie, se demandent d’abord si l’auteur est néo-guelfe, unitaire,

  1. Voyez l’intéressante étude de M. Geffroy dans la Revue du 15 août 1861.