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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/471

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puisse se résigner indéfiniment sans murmure, sans avoir le droit de se plaindre, à ces spectacles de versatilité et d’impuissance qu’on lui offre ? Pense-t-on qu’il puisse accepter d’en être réduit à se demander chaque matin quel régime il aura le soir, si les grands politiques de la droite, ont envoyé de nouveaux émissaires à Frohsdorf, s’il y a des négociations entre le centre droit et le centre gauche, où est la majorité sur laquelle peut s’appuyer un ministère, quel coup de théâtre vont produire les bonapartistes en se déplaçant, en portant leurs voix au gouvernement ou à l’opposition ? C’est l’assemblée qui s’expose à se ruiner elle-même dans l’estime publique par cette dilapidation de son crédit et de ses forces.

Il y a malheureusement un autre résultat sensible, palpable, et qui n’est pas moins grave. Jusqu’ici le pays, élevant son courage au niveau de ses épreuves, a travaillé sans s’émouvoir des luttes politiques, il s’est remis à l’œuvre avec une énergie patiente et résignée, sentant bien qu’il n’avait pas le temps de se détourner de sa tâche, s’il voulait porter jusqu’au bout le fardeau que lui ont légué ses malheurs. Il a suffi à tout, acceptant les plus lourds sacrifices. Il a tout donné pour sa rançon, pour la réparation de ses désastres, pour son armée, et ce n’est point fini. Qu’on interroge M. le ministre des finances : M. Magne a besoin de plus de 160 millions d’impôts nouveaux pour mettre l’équilibre dans son budget. Le pays ne s’est refusé à rien, il ne se refuse à rien, pourvu qu’on lui laisse tout au moins les moyens de faire face aux charges qu’on lui impose. Aujourd’hui cependant, il n’y a plus à s’y méprendre, le travail à son tour souffre sérieusement de ces incertitudes qu’on entretient, qu’on prolonge plus qu’il ne faudrait, et comment payer des impôts si toutes les affaires sont en suspens, si les usines se dépeuplent, si le commerce est paralysé ? Le travail sous toutes ses formes, c’est la vie pour la France, et pour le travail, la sécurité, la paix intérieure, sont les conditions premières. Voilà la grande et sérieuse question qui domine toutes les autres. Il est de toute évidence qu’il faut sortir de là qu’il faut en finir avec toutes ces ambiguïtés amassées autour de nous, et si on n’en a pas déjà fini, c’est que malheureusement on aborde ces problèmes avec toute sorte de calculs, de subtilités ou de regrets, au lieu d’aller droit à la situation qui nous est faite et de chercher dans cette situation même les élémens des seules solutions possibles.

Dix jours se sont écoulés déjà depuis que l’assemblée est réunie. La session nouvelle a été inaugurée par la lecture d’un message de M. le président de la république. Aussitôt une proposition a été faite pour la prorogation des pouvoirs de M. le maréchal de Mac-Mahon. L’urgence, réclamée par l’un des auteurs de la motion, M. de Goulard, et appuyée par le gouvernement, a été déclarée sur l’heure, non cependant sans une vive contestation ; le fait est que l’urgence a été votée, mais à une faible