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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/50

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radicale contre le mysticisme : parce que le moine avait étroitement lié le gouvernement des hommes avec la religion, Machiavel l’en sépara au point de le détacher même de toute idée de morale. Le plus curieux et presque l’unique monument des premières années du publiciste est une lettre à un ami datée de 1497. Il s’agit des prédications du fameux dominicain : le futur auteur du Prince suivait les stations de l’étrange homme d’état qui lançait ses décrets ou tout au moins les proposait du haut de la chaire ; mais ce n’est pas l’enthousiasme qui le pousse à Saint-Marc ou à Santa-Liperata, comme c’est le cas par exemple pour Nardi, Michel-Ange et bien d’autres. Il cherche à prendre sur le fait les artifices du tribun en robe de laine blanche ; il le méprise et tourne contre lui les mêmes accusations dont ses ennemis acharnés, les arrabbiati, jeunesse dorée de Florence, le harcelaient. Il entra aux affaires le mois qui suivit le supplice de Savonarole ; il avait vingt-neuf ans.

Depuis la publication des Écrits inédits de Machiavel par M. Canestrini, nous savons mieux en quoi consistaient ses fonctions de secrétaire du conseil des dix de liberté et de paix, nous savons aussi quel était son maigre salaire quand il était délégué auprès d’une puissance étrangère, — 10 livres par jour, qu’il ne cumulait même pas avec le traitement de sa place. Autant la science diplomatique des ambassadeurs de Florence et de Venise était l’objet du respect et de l’admiration dans les cours étrangères, autant leur situation précaire était pour eux une source de sacrifices et de ruine. Il fallait qu’il y eût peu d’empressement à l’accepter, puisqu’à Venise on faisait payer l’amende à quiconque refusait une ambassade. Ces fondateurs de la diplomatie moderne souffrirent le plus souvent de la gêne. Ils se ruinaient en avances pour ports de lettres ; l’usage des exprès était coûteux, et l’expédition d’une dépêche de Melun à Florence ne revenait pas à moins de 35 écus. Faute d’argent, le secrétaire florentin dut envoyer quelquefois par les courriers du roi Louis XII d’importantes missives qu’il exposait à être lues par les agens français. D’autres que nous pourrions citer recevaient de Ferdinand le Catholique et de François Ier des cadeaux ou même des pensions ; il revint d’Allemagne ou de France toujours les mains nettes. On aurait désormais mauvaise grâce à lui reprocher, comme on l’a fait, les doléances qu’il adresse des pays lointains à la république ; il n’est même pas juste de lui faire son procès pour ses sollicitations réitérées auprès d’un ami des Médicis. Vettori était son intime ; il pouvait devant lui découvrir ses plaies, et il ne réclamait que ce qui était dû à ses services et à sa rare intelligence.

Sa situation vis-à-vis de la famille princière n’a jamais été nettement indiquée. N’étant pas entré aux affaires en qualité d’ennemi des Médicis, il n’en sort pas non plus avec ce caractère. Pierre