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vous jure, et pénétrans, j’ai fait une observation curieuse. Je lui ai demandé s’il était bien sûr d’être inspiré et s’il avait fait quelque expérience pour s’en assurer. Je lui ai rappelé que Gédéon, appelé par Dieu, avait pris ses sûretés et exigé quelques petits miracles. « Savez-vous le russe ? lui dis-je. — Non. — Bien ; je vais écrire en russe deux phrases sur des morceaux de papier. Une de ces phrases sera une impiété. Suivant ce que vous dites, un de ces morceaux de papier vous causera de l’horreur. Voulez-vous essayer ? » Il a accepté. J’ai écrit. Il s’est mis à genoux et a fait une prière, puis tout d’un coup il m’a dit : (c Mon Dieu ne veut pas accepter une expérience frivole. Il faudrait qu’il s’agît d’un grand intérêt. » N’admirez-vous pas la prudence de ce pauvre fou, qui craignait, à son insu, que l’expérience ne tournât pas bien ?

Adieu ; j’attends une prompte réponse.


Mardi soir, 1er  mai 1860.

Le bal de l’hôtel d’Albe était splendide. Les costumes étaient très beaux, beaucoup de femmes très jolies, et le siècle montrant de l’audace. 1o  On était décolleté d’une façon outrageuse par en haut et par en bas aussi. À cette occasion, j’ai vu un assez grand nombre de pieds charmans et beaucoup de jarretières dans la valse. 2o  La crinoline est en décadence. Croyez que dans deux ans les robes seront courtes, et que celles qui ont des avantages naturels se distingueront de celles qui n’en ont que d’artificiels. Il y avait des Anglaises incroyables. La fille de lord ***, qui est charmante, était en nymphe dryade, ou quelque chose de mythologique, avec une robe qui aurait laissé toute la gorge à découvert, si on n’y eût remédié par un maillot. Cela m’a semblé presque aussi vif que le décolletage de la maman. Le ballet des Elémens se composait de seize femmes, toutes assez jolies, en courts jupons et couvertes de diamans. Les naïades étaient poudrées avec de l’argent qui, tombant sur leurs épaules, ressemblait à des gouttes d’eau. Les salamandres étaient poudrées d’or. Il y avait une Mlle Errazu merveilleusement belle. La princesse Mathilde était en Nubienne, peinte en couleur bistre très foncé, beaucoup trop exacte de costume. Au milieu du bal, un domino a embrassé Mme de S…, qui a poussé les hauts cris. La salle à manger avec une galerie autour, les domestiques en costume de pages du XVIe siècle et de la lumière électrique, ressemblait au festin de Balthazar dans le tableau de Wrowthon. L’empereur avait beau changer de domino, on le reconnaissait d’une lieue. L’impératrice avait un bournous blanc et un loup noir qui ne la déguisait nullement. Beaucoup de dominos, et en général fort bêtes. Le duc de *** se promenait en arbre vraiment assez bien imité. Je trouve qu’après l’histoire de sa femme c’est un déguisement un peu trop remar-