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« je vous répondrai que je suis maigre aussi, comme ils le savent, et cependant de ma pauvre chair ils tirent de bonnes bouchées.

« Que votre magnificence laisse de côté les opinions des gens, qu’elle touche de ses propres mains et qu’elle juge par elle-même, non sur les apparences. »


Ces grives en disent plus que toutes les lettres de la correspondance. Est-il possible que ce soit là un républicain qui dissimule ? le ton est plus soumis et plus enjoué que dans les sonnets précédens ; six mois se sont écoulés, il commence à espérer un retour de faveur. Il ne serait pas raisonnable de le lui reprocher, car on se trouve toujours entre deux suppositions contraires, celle de la dissimulation et celle de la servilité, et il faut défendre Machiavel des deux côtés. Les Médicis ont conservé les formes républicaines ; Florence est gouvernée, comme on disait, non par Julien, da Giuliano, mais par l’influence, l’entremise de Julien, per Giuliano. Depuis quatre-vingts ans, cela se passait ainsi, sauf les dix-huit ans de gouvernement populaire qui venaient de s’écouler ; le chef de cette famille avait la main dans toutes les affaires, sans être prince ni souverain. Il ne décrétait rien, mais rien ne se faisait qui pût être contraire à sa maison, à ses désirs, à ses intérêts. Les institutions politiques restaient à peu près les mêmes. Ajoutez que les Médicis semblaient maîtres de l’avenir, et que Machiavel ne s’était montré ni leur partisan ni leur ennemi déclaré. Aussi les vicissitudes de leur crédit correspondent curieusement à celles de sa pensée : c’est pour n’avoir pas suivi année par année les évolutions de celle-ci qu’on l’a mal comprise.


III

L’à-propos du livre du Prince ne peut ni être contesté ni devenir un sujet de reproche à un républicain sans passion et sans préjugé comme ce publiciste. Qui pouvait douter en 1513, quand les partisans du gouvernement populaire voyaient tomber leurs espérances avec l’ascendant des Français, que c’en était fini de cette forme politique ? L’année suivante, Julien, maître de Florence et frère du pape, acquiert une principauté composée de Parme, de Modène, de Reggio ; comment ne pas supposer qu’il est appelé à réunir sous sa main l’Italie entière ? Une année encore, et il épouse une princesse de Savoie, il est fait duc de Nemours par François Ier. Il est vrai que celui-ci a repris Milan, mais toute l’Italie sait que c’est une politique héréditaire chez les Médicis que Milan ne doive pas appartenir aux Français, et cette politique a bien des chances pour elle quand c’est un pape qui la représente. Machiavel écrit son