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prochera tous les jours de celle des hommes, et qu’on reviendra dans une certaine mesure à l’idéal que les Romains se faisaient de la mère de famille.

Un moment arriva pourtant où cet idéal, s’il n’avait été un peu tempéré, pouvait présenter quelque péril. Quand les mœurs devinrent plus élégantes et les esprits plus cultivés, quand on prit l’habitude de se réunir davantage et de moins rester dans sa famille, on dut être tenté de demander aux femmes d’autres qualités que celles dont on s’était jusque-là contenté. En vivant d’une manière nouvelle, on éprouvait des besoins nouveaux, et il était à craindre que, pour les satisfaire, on n’eût recours au système des Grecs. En Grèce, comme à Rome, la femme était chargée de diriger le ménage et de mener la maison ; mais la maison et le ménage n’ y avaient pas la même importance qu’à Rome. Le Grec vivait chez lui le moins possible ; il n’y cherchait que le nécessaire, le vivre et le couvert comme dit La Fontaine. Quant à ce superflu qui fait tout l’agrément de l’existence, il se le procurait ailleurs. C’était chez eux la coutume de faire ouvertement deux parts de la vie : celle qu’on passait dans la maison était la plus ennuyeuse et la plus courte ; on ne s’y plaisait guère, on n’y trouvait personne avec qui l’on aimât à causer : « Y a-t-il quelqu’un, disait Socrate à l’un de ses amis, à qui tu parles moins qu’à ta femme ? » Lorsqu’on voulait se divertir, donner quelque distraction à son esprit ou quelque aliment à son âme, on sortait de chez soi, on cherchait au dehors ce que la vie intérieure ne pouvait pas donner. C’est ainsi que la courtisane était devenue le complément naturel du mariage. Ce partage ne choquait personne, et Démosthène disait le plus simplement du monde « Nous avons des amies pour le plaisir, des épouses pour nous donner des enfans et conduire la maison. »

Les courtisanes ne manquaient certes pas à Rome. Dès la fin de la seconde guerre punique, Plaute prétend qu’il y en avait plus que de mouches lorsqu’il fait très chaud ; mais il est douteux qu’elles fussent semblables à cette Aspasie qui charmait Périclès, ou à Léontium, qui était capable de composer des ouvrages de philosophie. Elles offraient beaucoup moins de séduction aux esprits délicats, et, quoique la morale publique fût très indulgente pour elles et qu’on ne trouvât rien à redire à ceux « qui, au lieu de mettre le pied dans les sentiers interdits, se contentent de marcher dans le grand chemin, » la société qui les fréquentait n’était ni aussi nombreuse, ni surtout aussi choisie que dans les villes de la Grèce. À ce moment, le Romain n’éprouvait pis encore autant que le Grec le besoin de se distraire hors de chez lui. Quand ses affaires étaient terminées, il rentrait dans sa maison et y restait volontiers ; il était heureux de se re-