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poser dans sa famille des fatigues de la journée. Moins poète, moins artiste, moins curieux que l’Athénien, il se passait plus facilement des conversations sérieuses ou légères, des fêtes élégantes, des réunions distinguées auxquelles préside une femme d’esprit. Le goût devait pourtant aussi lui en venir, à mesure qu’il connaissait mieux la Grèce et qu’il se familiarisait avec sa littérature et ses arts. Vers le VIIe siècle, les mœurs subirent à Rome de graves atteintes. On commençait à trouver moins de plaisir dans la vie de famille, et il arriva, par une coïncidence fâcheuse, qu’à mesure que l’attrait qui retenait les Romains chez eux était moindre, celui qui les attirait au dehors devenait plus puissant. Pour l’esprit et la grâce, les courtisanes de Rome finirent par rivaliser avec celles de Corinthe ou d’Athènes. On mettait un soin extrême à les bien élever ; celles qu’on destinait d’avance aux plaisirs des jeunes gens de grande maison étaient ornées de tous les talens nécessaires pour les charmer et les retenir. Ovide énumère tout ce qu’il faut leur apprendre ; c’est une éducation complète : « Est-il nécessaire de dire qu’elles doivent savoir danser ? Il faut bien qu’elles puissent, à la fin d’un repas, agiter les bras en cadence, quand les convives le désirent. » Elles doivent être musiciennes aussi, tenir avec grâce l’archet de la main droite et la cithare de la gauche il faut qu’elles chantent surtout. « C’est une douce chose que le chant. Beaucoup de femmes, qui manquaient de beauté, ont séduit par la douceur de leur voix. Qu’elles répètent tantôt les chansons qu’on entend dans les théâtres et tantôt les airs de l’Égypte. » Il n’est pas inutile non plus qu’elles sachent bien écrire. « Que de fois n’est-il pas arrivé que la conquête encore douteuse d’un amant a été achevée par un billet spirituel, et qu’au contraire le méchant style d’une femme a détruit l’effet qu’avait produit sa beauté ! » Elles doivent savoir les vers des poètes qui ont célébré l’amour, surtout ceux de Callimaque et de Sapho, et ceux des Romains qui les ont imités. Il est question, dans Horace, de grandes écoles où de jeunes et belles affranchies apprenaient à chanter les poésies de Catulle sous la direction des plus grands musiciens de Rome. Ces talens, qu’elles se donnaient avec tant de peine, ne leur furent pas sans profit. Quelques-unes d’entre elles arrivèrent à d’aussi brillantes que les courtisanes de la Grèce. Telle fut la comédienne Cythéris, la maîtresse du riche Eutrapelus et d’Antoine, celle dont l’infidélité causa tant de douleur à Gallus que son ami Virgile crut devoir, dans une églogue, convoquer tous les dieux de l’Olympe pour venir le consoler. Cicéron raconte qu’il dîna un jour avec elle, en compagnie du sage Atticus et d’autres gens d’importance, et il s’excuse gaiment de l’avoir fait en rappelant que le philosophe Aristippe ne rougis-