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tante ; c’était une femme simple et qui vivait dans la retraite ; mais l’affection qu’elle avait pour son neveu la tira de sa solitude et la rendit audacieuse. « Elle a fait des brigues pour moi, » nous dit-il. Aussi était-ce une manière de faire son chemin que de chercher à plaire aux dames. Tacite parle d’un consulaire dont le talent consistait à s’attirer leur faveur et qui leur devait sa fortune. Hors de Rome, elles étaient bien plus puissantes encore. Rien ne les empêchait de se donner toute l’importance qu’elles souhaitaient avoir, quand elles n’étaient plus sous les yeux de l’empereur et des gens qu’elles pouvaient craindre. On délibéra un jour dans le sénat pour savoir si l’on devait permettre aux magistrats chargés de gouverner les provinces d’emmener leurs femmes avec eux. Un sénateur rigoureux, Cœcina Severus, se plaignit amèrement de tous les abus dont elles étaient cause, et déclara en propres termes que, « depuis qu’on avait relâché les liens dont les ancêtres avaient cru devoir les enchaîner, elles régnaient dans les familles, dans les tribunaux, dans les armées. » La violence de Cœcina eut peu d’approbateurs, et, quoiqu’il fût de règle au sénat de louer sans fin le passé, on fut d’accord qu’en bien des choses on avait eu raison d’adoucir la rigueur des anciennes lois, et on laissa les proconsuls libres de partir avec leur famille, s’ils le jugeaient bon. Tout le monde était pourtant obligé de reconnaître que les reproches qu’on leur faisait n’étaient pas entièrement injustes. Il n’y avait guère de procès de concussion où la femme du gouverneur ne fût impliquée. « Tous les intrigans de la province s’adressaient à elle ; elle s’entremettait dans les affaires et les décidait ; » elle s’occupait de tout, même de la discipline militaire et de la direction des armées. On en vit qui, à cheval près de leur mari, assistaient à lies exercices, présidaient à des revues, haranguaient les troupes. Du moment que l’épouse de l’empereur se faisait appeler « la mère des camps, » celles des légats impériaux semblaient autorisées à rechercher la faveur des légions. Elles y réussissaient souvent, et l’on vit plus d’une fois, ce qui semblerait fort extraordinaire de nos jours, des soldats et des officiers se réunir pour élever une statue à la femme de leur général.

Nous sommes très loin, comme on voit, de la servitude et de la réclusion à laquelle on suppose d’ordinaire que les Romaines étaient condamnées. Ce qui seul est vrai, c’est que cette indépendance qu’on leur accorde est plutôt une affaire de tolérance et d’usage que de principe. Les lois civiles y étaient tout à fait opposées ; la philosophie ne la favorisait pas davantage. Nous avons déjà dit que les sages de la Grèce paraissent s’être fort peu occupés de cette question des droits de la femme si ardemment agitée de nos jours ; quand par hasard ils y touchent, on voit bien qu’ils lui sont fort