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contraires et peu disposés à lui donner une place convenable dans la famille et dans l’état. Lorsque Platon veut tracer le tableau d’une société démocratique « à laquelle ses magistrats, comme de mauvais échansons, ont versé la liberté toute pure, » et qui s’en est enivrée jusqu’à perdre entièrement la raison, il y représente l’esclave refusant d’obéir à son maître, et la femme qui prétend s’égaler à son mari. Voilà ce qui lui semble le comble du désordre dans un état mal ordonné ! Aristote est plus insolent encore. « Assurément, dit-il, il peut y avoir des femmes et des esclaves qui soient honnêtes ; cependant on peut dire d’une façon générale que la femme est d’une espèce inférieure, et l’esclave un être tout à fait méchant. » Les philosophes de Rome, dans leurs ouvrages théoriques, ne s’expriment pas autrement que ceux de la Grèce. Cicéron reproduit le passage de Platon que je viens de citer, et semble l’accepter pour son compte. Sénèque affirme brutalement, comme Aristote, que la femme est un être ignorant et indompté, incapable de se gouverner lui-même, animal imprudens, ferum, cupiditatum impatiens : il ne peut donc être question de leur accorder des privilèges et de réclamer pour elles plus de justice et d’égalité ; mais à Rome ce que les sages semblaient si éloignés de faire s’était fait tout seul. Contrairement à ce qui arrive d’ordinaire, les principes restèrent en arrière de la pratique, et tandis que les philosophes et les législateurs semblaient s’entendre pour retenir les femmes dans une condition dépendante, l’opinion et l’usage les avaient émancipées. Il faut évidemment chercher l’origine de cette émancipation dans l’idée élevée que les Romains s’étaient toujours faite du mariage. Ils le regardaient comme « le mélange de deux vies, » et ce mélange ne pouvait être complet que si tout était commun entre les deux époux. « Quand je t’ai épousé, disait à Brutus la noble Porcia, c’était non pas seulement pour être, comme une courtisane, à côté de toi au lit et à table, mais pour prendre ma part du bien et du mal qui pourraient t’arriver. » Ce partage égal des biens et des maux introduit un principe d’égalité dans la famille. Rien ne résista dans la suite à ce principe ; il finit par vaincre les préjugés du monde, les théories des philosophes et les prescriptions de la loi. Ces règlemens sévères par lesquels on avait prétendu enchaîner les femmes furent successivement éludés ou abolis. Les jurisconsultes ont montré, et c’est une étude très piquante, par quelles manœuvres habiles elles parvinrent, sous l’empire, à renverser toutes les barrières élevées autour d’elles par l’ancien droit civil et à établir l’égalité entre elles et leurs maris. On finit même par abroger ce privilège dont le vieux Caton se montre si naïvement fier dans un de ses discours. « Si tu trouves ta femme en flagrant délit d’adultère,