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traitemens les plus pénibles; on emprisonna sa jambe dans des bandages orthopédiques, dans un appareil en bois qui l’empêchait de dormir; il supporta ces souffrances sans se plaindre, mais sans obtenir aucun résultat. Le sentiment de cette infirmité le poursuivit partout; ni son rang ni sa gloire ne lui parurent une compensation suffisante de ce qui lui manquait pour être l’égal des autres hommes. Une de ses plus constantes préoccupations fut de dissimuler son pied malade par la forme de ses vêtemens, par sa manière de marcher, par son audace et par son adresse dans tous les exercices du corps; à force de volonté et d’énergie, il parvint à corriger l’infériorité que la nature lui infligeait, en se mesurant à la nage, à l’escrime, à la boxe avec les hommes les plus robustes de l’Angleterre. Être fort et le paraître, voilà ce qui devint pour lui presque aussi important, plus important peut-être, que d’acquérir la renommée poétique; mais au prix de quels sacrifices y réussit-il? Quelle obligation de penser à soi et quelle perpétuelle contrainte ! Une tendance à l’embonpoint, héréditaire dans sa famille, lui faisant craindre que le plus faible de ses deux pieds ne pût supporter le poids de son corps, si son corps devenait trop lourd, il s’astreignit à un régime frugal, contre lequel la nature réclamait, qu’il interrompait fréquemment par des excès et qui en peu d’années délabra son estomac. Un caractère impatient, forcé de compter tous les jours avec de telles misères, s’en irrite et en souffre. La misanthropie de lord Byron, l’amertume hautaine de son scepticisme, l’agitation continuelle de son esprit, ses révoltes contre l’opinion et ses explosions de colère, tout le malaise moral qui trouble et empoisonne sa vie, viennent en grande partie de ses souffrances physiques. La gloire et l’amour, le succès de ses œuvres et les passions ardentes qu’il inspirait pouvaient l’étourdir un instant, mais dès qu’il rentrait en lui-même, il y retrouvait le mal qui le consumait. Au sortir d’un entretien étincelant de gaîté, il avouait à Moore qu’il se sentait le plus malheureux des hommes. Après quelques mois de mariage, lady Byron porta sur lui un jugement analogue. La réflexion le ramène inévitablement à des idées sombres. Les mots de tristesse, de fatigue, d’ennui, reviennent à chaque page dans son journal. « De tous les verbes, écrit-il, celui que je conjugue le plus est le verbe s’ennuyer. »

De là le besoin d’émotions fortes qui secouent l’âme et l’arrachent à la monotonie de ses pensées ordinaires. De là aussi l’amour des grands spectacles de la nature, si bien faits pour apaiser les douleurs incurables. Petit-fils d’un marin, né et élevé sur les côtes de l’Océan, lord Byron aimait avec passion toutes les scènes de la mer; sur les flots irrités, à travers le sifflement de la tempête, il savourait l’âpre volupté du péril et de la lutte; la calme étendue des eaux