Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/606

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joindre lady Byron à la campagne et celui où sir Ralph Noël[1] annonce au même gendre une rupture définitive, quelques jours à peine s’écoulent; que s’est-il passé dans ce rapide intervalle? Lord Byron prétend ne l’avoir jamais su; il s’est plaint toute sa vie de n’avoir obtenu aucune explication décisive. Nous verrons plus tard qu’il était en réalité plus instruit qu’il ne lui convient de le dire au public, mais il pouvait se plaindre justement d’avoir été condamné par surprise, sans qu’on daignât ni l’entendre ni le confronter avec ceux qui l’accusaient. En tout cas, aucun grief précis ne fut officiellement articulé par lady Byron contre son mari; elle laissa planer sur les causes de la séparation la plus grande incertitude. Un certain nombre de versions, toutes très fâcheuses pour le poète, circulèrent alors dans la société anglaise et soulevèrent contre lui l’opinion publique. Voici ce que les mieux informés apprirent dès ce temps-là par les confidences d’une femme distinguée, lady Barnard, une des meilleures amies de lady Byron. D’après le témoignage de celle-ci, les premiers torts de lord Byron envers elle dateraient du jour même de leur mariage. En sortant de l’église, dans la voiture qui les emmenait, il lui aurait dit avec un méchant sourire : « Vous avez été dupe de votre imagination. Comment une femme d’autant de bon sens que vous a-t-elle pu concevoir l’espérance de me corriger? Vous verserez bien des larmes avant d’atteindre votre but. Il suffit que vous soyez ma femme pour que je vous déteste; si vous étiez la femme d’un autre, je pourrais vous aimer. » Lady Barnard, s’étonnant qu’après de telles paroles son amie eût continué la route en tête-à-tête, au lieu de rentrer à la maison paternelle, lady Byron lui aurait répondu : Je n’ai pu prendre alors au sérieux ce que me disait mon mari; j’ai cru à une plaisanterie de mauvais goût, et je me suis contentée de lui répondre que j’avais de lui une meilleure opinion que lui-même. A d’autres momens, ajoutait lady Byron, il me reprochait de ne l’avoir épousé que par vanité, pour m’attribuer aux yeux du monde le mérite de sa conversion. Quant à lui, en épousant une femme vertueuse et riche, il ne songeait qu’à rétablir sa réputation et sa fortune également, compromises. Il affichait, disait-elle encore, de si mauvais principes, qu’elle aurait craint de perdre en sa compagnie le respect d’elle-même. Il sollicitait d’elle des complaisances coupables et pour elle et pour lui. Lady Byron complétait ses confidences par des détails qui seraient vraiment odieux, si on pouvait les croire réels. Suivant elle, il avait l’habitude de hanter les mauvais lieux, et, lorsqu’il en revenait le soir, il

  1. Le père de miss Milbanke avait changé de nom, depuis le mariage de sa fille, à la mort d’un de ses parens dont il était l’héritier.