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s’en vantait devant sa femme ; puis tout à coup il se jetait aux pieds de lady Byron, s’accusait d’être un monstre et tombait dans le désespoir. Une nuit, le voyant désespéré, l’entendant crier qu’il était perdu, qu’on ne lui pardonnerait jamais, elle eut pitié de sa douleur, s’approcha de lui, et lui dit les larmes aux yeux : « Byron, tout est oublié; jamais, jamais je ne vous parlerai de ce qui vient de se passer. » Il se releva aussitôt, disait lady Byron à lady Barnard, croisa ses bras sur sa poitrine et se mit à rire. « Que veut dire cela? lui demanda-t-elle. — C’est une simple expérience philosophique, répondit-il. Je voulais simplement savoir ce que duraient vos résolutions. »

Qu’y a-t-il de vrai dans ces griefs? quelle transformation subissent les actes et les paroles de lord Byron en passant d’abord par la bouche de sa femme, puis sous la plume d’une amie de sa femme, trop attachée à celle-ci pour qu’on la croie impartiale? Lord Byron s’est défendu lui-même d’avoir adressé des paroles outrageantes à lady Byron le jour de son mariage; il déclare d’ailleurs que, telle qu’il la connaît, elle ne les aurait pas supportées un instant, et serait descendue sur-le-champ de voiture. Si sa femme avait été offensée et mise en défiance dès le début, pourquoi parlerait-il en écrivant à Moore de la bonne grâce naturelle que lady Byron apporte à l’origine dans les relations conjugales? Peut-être a-t-il été victime en cette circonstance de son goût pour la plaisanterie; à moins de le connaître à fond, on distinguait difficilement chez lui le sérieux du badinage; il aimait à se moquer de lui-même et de ceux qui l’écoutaient; il s’attribuait des vices qu’il n’avait jamais connus, des actions qu’il n’avait jamais faites, pour le simple plaisir de mystifier ses auditeurs. Rien ne l’amusait plus que de se représenter sous des couleurs étranges, de noircir sa conduite et son caractère, sauf à rire après coup dans l’intimité de la candeur de ses dupes. Lady Byron ne prit-elle pas au sérieux quelques mystifications de ce genre? Ne le crut-elle pas réellement criminel lorsqu’il n’avait que l’apparence du crime, n’eut-elle pas l’esprit assez fin pour distinguer l’homme du rôle, la réalité de la mise en scène? On serait tenté de croire qu’elle attacha trop d’importance à des écarts d’imagination auxquels les faits ne répondaient point. Quoi d’étonnant d’ailleurs qu’une personne réservée, d’un esprit exact et positif, peu disposée peut-être à plaisanter, n’ait pas compris le sel des plaisanteries fort blâmables que se permettait son mari! Il y a des sujets dont il ne faut point entretenir une femme, même en se jouant, quand ce ne serait que par respect pour soi et pour elle.

Lady Byron paraît avoir trouvé dans la conduite de lord Byron d’autres motifs plus réels de se plaindre de lui. On sait quelles étaient les irrégularités du poète avant le mariage; il ne s’astrei-