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fille te presseront, quand ses lèvres toucheront les tiennes, pense à celui dont la prière te bénira, pense à celui que ton amour eût béni ! »

Cette plainte touchante, qui attendrissait Mme de Staël, n’arracha pas une parole de pitié des lèvres fermées de lady Byron. Muette pendant que son mari vivait, elle ne rompit le silence qu’après la mort du poète, lorsqu’il n’était plus là pour se défendre. Rassurée par la destruction des mémoires qu’elle avait contribué à obtenir de la faiblesse de Moore, elle s’autorisa de la publication de la Vie de Byron pour sortir de la réserve qu’elle avait gardée jusque-là et qu’il n’avait jamais été si nécessaire d’observer. Sous prétexte que Moore mettait en cause ses parens en attribuant à leur influence la désunion du ménage, elle revendiqua pour elle seule la responsabilité de la séparation, et en expliqua pour la première fois au public les motifs généraux. En se séparant de son mari, disait-elle, elle le croyait atteint d’aliénation mentale; les scènes dont elle avait été le témoin et la victime dans son intérieur lui faisaient craindre qu’il n’eût perdu la raison. Elle assurait même que la famille de lord Byron et le domestique qui le servait avaient donné à entendre que dans un accès de désespoir il pourrait mettre fin à ses jours. C’est d’après le conseil d’un médecin, pour ne pas irriter son mal, qu’elle l’avait quitté avec l’apparence de la tendresse et lui avait écrit affectueusement. Une fois en sûreté sous le toit de ses parens, le principal souci de lady Byron fut de s’assurer de l’état réel de son mari. Si elle avait eu affaire à un fou, comme elle le supposait, elle ne pouvait ni conserver aucun ressentiment de ses procédés, ni se détacher de lui ; son devoir était de ne rien négliger pour le soigner et pour le guérir. Elle prit donc des informations dans l’entourage de lord Byron sur sa manière d’agir, et le fit même visiter par un médecin accompagné d’un homme de loi, afin de savoir si les craintes qu’elle rapportait de Londres se confirmaient. Le témoignage de ces deux personnes et les renseignemens qu’elle reçut d’autre part ne lui permirent plus de croire à la folie. On lui garantit que son mari n’était pas fou. Aussitôt sa conduite changea; la pitié qu’elle avait ressentie pour un malade fit place à l’indignation; lorsqu’elle se rappela ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait entendu et souffert, elle n’éprouva plus que de l’éloignement pour le domicile conjugal. Elle déclara dès lors à ses parens qu’elle ne retournerait à aucun prix auprès de lord Byron. C’est ce qui explique, suivant elle, pourquoi lord Byron, invité d’abord par sa belle-mère à rejoindre sa femme à la campagne, fut ensuite averti par son beau-père que sa femme se séparait de lui. La première lettre, datée du 17 janvier, s’adressait à un malade qu’il fallait ménager; la seconde, datée du 2 février, s’adressait à un coupable qui ne méritait plus de