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ménagemens. Encore avait-elle pris la précaution de dissimuler à ses parens une partie de ses griefs.

Pour attester la vérité de cette explication, lady Byron invoqua et publia le témoignage d’une personne exactement informée de ses malheurs. Le docteur Lushington, invité par elle à rappeler publiquement ce qui s’était passé, affirma qu’il avait d’abord conseillé une réconciliation, un rapprochement des deux époux, mais qu’ayant ensuite appris de lady Byron ce qu’elle reprochait à son mari et ce que ses parens eux-mêmes ignoraient, il avait jugé impossible qu’on se réconciliât; si même, ajoutait-il, on eût songé à reprendre la vie commune, je n’eusse pu en aucun cas m’y prêter! Voilà une charge bien grave. Quelles sont donc les actions que Byron a commises, que la folie excuserait, mais qui deviennent inexcusables de la part d’un homme de bon sens? Le vague même de l’accusation en augmente la gravité en faisant naître dans l’esprit les suppositions les moins favorables à l’accusé. N’est-ce pas abuser du droit de la défense que de jeter de tels soupçons sur la tombe d’un mort, après avoir enlevé à ses amis les moyens de le justifier? Etait-il juste de lui refuser si longtemps l’explication qu’il demandait pour la différer jusqu’à l’heure où il ne pouvait plus y répondre? En gardant le silence pendant que son mari vivait, en insistant pour que la justification de lord Byron ne fût pas publiée, lady Byron ne s’interdisait-elle pas la faculté de l’accuser? Le soin qu’elle prend de la réputation de ses parens peut-il lui faire oublier le respect qu’elle doit à une autre mémoire?


III.

Silencieuse tant qu’on la sommait de s’expliquer, lady Byron s’expliqua lorsqu’on ne lui demandait plus que le silence. La première confession qu’elle fit au public anglais et que Moore inséra dans la seconde édition de la Vie de Byron préparait les confidences infiniment plus graves que devait faire un jour en son nom mistress Beecher Stowe. En 1830, en imputant à son mari des torts impardonnables, sans en indiquer la nature, elle laissait planer sur lui des soupçons odieux; en 1869, mistress Beecher Stowe, dans un article d’une revue américaine que reproduisit avec fracas une revue anglaise, précisa l’accusation. Il ne s’agissait de rien moins que du crime d’inceste. Le célèbre romancier américain disait tenir de lady Byron elle-même que celle-ci avait quitté la maison conjugale après avoir découvert une liaison criminelle entre son mari et la sœur aînée de son mari, Augusta, femme du colonel Leigh. On comprend l’émotion que produisit en Angleterre une révélation si inattendue. La célébrité du personnage mis en cause,