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née 1869? En admettant que lady Byron, vieillie et livrée peut-être aux hallucinations du mysticisme, eût choisi pour confidente mistress Beecher Stowe, qu’elle connaissait à peine, quelle foi ajouter à des paroles démenties d’avance par tant de témoignages écrits de la main même de lady Byron, et par tant d’actes de sa vie? On opposa tout de suite aux confidences d’une mourante assiégée de visions ce qu’elle avait dit, ce qu’elle avait écrit, ce qu’elle avait fait pendant les années qui suivirent la séparation, lorsque ses souvenirs étaient encore récens, lorsque son esprit avait gardé sa fraîcheur. Le récit de mistress Beecher Stowe faisait naître une autre objection ; on y reconnaissait l’habitude des procédés romanesques, la recherche des effets violens obtenus à tout prix. Ce défaut fut surtout sensible dans la seconde version qu’elle publia des confidences de lady Byron pour répondre à la vigoureuse argumentation de la presse anglaise. Elle trahit l’embarras où l’avaient jetée ses adversaires par la mise en scène qu’elle déploya pour les réfuter. Si elle avait eu au début quelque souci de la vérité, il fut évident qu’elle ne songeait plus après coup qu’à surprendre les imaginations et à ébranler les nerfs de ses lecteurs. Elle nous représente lady Byron, très émue et très pâle, faisant effort pour parler, mais s’exprimant néanmoins avec une solennité terrible, comme on le fait sur un lit de mort, et retombant épuisée après avoir révélé le crime de son mari. La manière dont l’inceste a été découvert est encore plus invraisemblable que le fait en lui-même. Dans le récit que nous en donne mistress Beecher Stowe, tout est calculé pour l’effet; mais l’effet ne peut s’obtenir qu’auprès d’un public crédule. Une nuit, raconte-t-elle naïvement, lady Byron vit son mari traiter mistress Leigh avec une telle familiarité qu’elle en fut choquée et surprise; frappé de son trouble, Byron s’approcha d’elle et lui dit avec ironie : « Je suppose que vous vous apercevez qu’on n’a pas besoin de vous ici. Allez dans votre chambre et laissez-nous seuls. Nous nous amuserons mieux sans vous. » La malheureuse femme se retira en tremblant, tomba à genoux et pria le ciel d’avoir pitié des coupables. D’ordinaire les grands criminels se cachent, ils accomplissent leurs forfaits dans l’ombre, sans témoins. Mistress Beecher Stowe a changé tout cela. D’après son récit, Byron fait parade de l’inceste devant la personne qu’il a le plus d’intérêt à tromper. Une sœur ose se donner à son frère sous les yeux de la femme de celui-ci, et la femme outragée entretient pendant quinze ans avec celle qui l’outrage les relations les plus affectueuses. Dans quel monde corrompu et extravagant se passent de telles aventures ? Est-ce là une peinture vraisemblable de la réalité ou le produit d’une imagination qui s’échauffe pour émouvoir le lecteur? Une autre scène de roman nous fait assister aux derniers adieux de lord et de lady Byron. D’après