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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/619

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mistress Beecher Stowe, ce n’est pas lady Byron qui s’éloigne volontairement de la maison conjugale, c’est son mari qui la chasse pour n’être pas témoin de ses reproches silencieux, de ses larmes, de ses prières. Le jour du départ, la pauvre femme passait devant la chambre de Byron, qu’elle n’avait pas vu depuis plusieurs jours; elle s’arrêta pour caresser l’épagneul de son mari, couché à la porte, et ne put s’empêcher d’envier le sort de cette pauvre créature, qui, elle du moins, avait le privilège de rester auprès de Byron et de veiller sur lui. Après un moment d’angoisse, elle entra dans la chambre, où elle trouva les deux coupables assis près l’un de l’autre, dit adieu à Byron et lui tendit la main. Byron, pour toute réponse, mit ses mains derrière son dos, et, reculant un peu, comme pour mieux embrasser d’un même regard les deux belles-sœurs, s’écria avec un sourire sardonique : « Quand nous trouverons-nous de nouveau tous trois réunis? — Dans le ciel, j’en ai l’espoir, » répondit lady Byron, et ce furent les derniers mots qu’elle adressa à son mari sur la terre.

Cette invention d’un rendez-vous dans le ciel, donné par la femme trahie au couple incestueux qui la trompe, a exposé mistress Beecher Stowe aux railleries trop méritées de la presse anglaise. Le romancier, en quête d’émotions, ne s’aperçoit pas qu’à force de vouloir rendre lady Byron intéressante il finit par la rendre méprisable. C’est le lendemain d’une telle scène, après avoir subi cette indignité de la part de son mari, que lady Byron lui aurait écrit en route la lettre affectueuse que l’on connaît et l’aurait fait prier par sa mère d’aller la rejoindre chez ses parens. Heureusement pour la mémoire de lady Byron, son propre témoignage, sa correspondance et les notes rectificatives qu’elle adressait à Moore en 1830 ne laissent rien subsister de l’échafaudage romanesque qu’élève si péniblement mistress Beecher Stowe. Celle-ci du reste, dès que son récit fut connu en Angleterre, reçut des personnes les plus autorisées de formels démentis. Les hommes d’affaires de la famille et des représentans de lady Byron déclarèrent officiellement que la publication américaine n’offrait aucun caractère d’authenticité, et que pour leur part ils n’en pouvaient accepter le contenu. Mistress Beecher Stowe prétendait non-seulement avoir recueilli des confidences orales, mais avoir tenu entre ses mains un récit des causes de la séparation écrit de la main même de lady Byron. Lord Wentworth, petit-fils de lord et de lady Byron, répondit catégoriquement qu’on avait découvert en effet, parmi les papiers de sa grand’mère, un manuscrit relatif à cette question, mais qu’il ne s’y trouvait aucune charge d’une nature aussi grave que celle dont parlait mistress Beecher Stowe, et que diverses lettres de lady Byron démentaient, à sa connaissance, l’accusation d’inceste. Il ne s’arrêtait pas à relever les inexactitudes de