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contemporains à interpréter contre lui dans un sens criminel l’expression si délicate d’un sentiment respectable. Mistress Beecher Stowe lui fera-t-elle un crime de n’avoir jamais parlé de sa sœur à ses amis que dans les termes les plus affectueux? Est-il étonnant qu’orphelin de bonne heure, plus tard séparé de sa femme et de son enfant, il ait concentré ses affections sur la seule personne qui lui tenait lieu de famille?

Quels motifs ont donc pu entraîner dans cette triste mésaventure littéraire un écrivain qui se pique de moralité, une femme connue jusque-là par la générosité de ses sentimens? Si l’on en croit la presse américaine et la presse anglaise, tous ces motifs ne sont pas de ceux que l’on avoue. En rendant justice au caractère honorable de mistress Beecher Stowe, l’opinion publique l’accuse généralement, elle et tous les membres de sa famille, d’aimer le bruit, d’assiéger les journaux et de rechercher l’occasion de faire parler d’elle à tout prix; on lui reproche même, ainsi qu’à tous les siens, de recourir à des procédés qui sentent le charlatanisme. Il ne lui déplaît pas, dit-on, d’avoir des amis qui répandent à son sujet de fausses nouvelles pour se donner le plaisir de les rectifier et d’appeler de nouveau sur sa personne l’attention publique. Un journal annonce-t-il qu’elle prépare un livre sur la cuisine sans savoir comment on la fait, elle relève aussitôt cette allégation comme un outrage et saisit habilement le prétexte qu’on lui offre de faire connaître au monde ses talens culinaires. Avec de telles dispositions d’esprit, et dans le pays du humbug, mistress Beecher Stowe éprouva sans doute moins de scrupules qu’on ne se l’imagine en Europe à publier un récit qui devait rajeunir la popularité de son nom. L’Amérique, l’Angleterre, allaient encore une fois s’occuper d’elle; elle redeviendrait le sujet de tous les entretiens, le point de mire de tous les regards. Qu’importait un peu de scandale, pourvu que son œuvre fît sensation et lui valût des milliers de lecteurs ?

Une pieuse pensée la rassurait d’ailleurs; elle croyait, comme elle le dit elle-même, servir la cause de la morale en réfutant une apologie de Byron qui se colportait partout en Amérique, se vendait dans toutes les gares et transformait en vertus les faiblesses d’un homme de génie. C’était le moment où venaient de paraître les mémoires de la comtesse Guiccioli, écrits naturellement en l’honneur du poète qui l’avait tant aimée. Mistress Beecher Stowe s’indigna que la maîtresse de Byron eût l’audace de célébrer les qualités de son amant et poussât le mépris de l’opinion jusqu’à juger avec sévérité la conduite de lady Byron. Son amitié pour cette dernière, son zèle pour la vertu, s’échauffèrent en même temps; elle craignit que l’ouvrage de la comtesse Guiccioli ne rendît le mari trop intéressant, la femme trop odieuse, et ne réveillât l’admiration de la