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jeunesse américaine pour les œuvres immorales du poète. Elle prit aussitôt la plume avec autant d’ardeur que s’il s’était agi de conjurer un véritable danger public. Le mal n’était pas si pressant, ni le livre de Mme Guiccioli si redoutable : on n’y trouvait presque rien qui n’eût déjà été raconté par d’autres ; il y était peu question de lady Byron. Le public avait-il réellement besoin que mistress Beecher Stowe le mît en garde contre ce que disait de la femme légitime la maîtresse du mari ? L’amie de lady Byron ne s’en crut pas moins obligée de prendre sa défense ; pour ôter tout crédit aux assertions de la comtesse Guiccioli, elle n’hésita point à révéler l’horrible secret qui lui avait été confié treize ans auparavant. Le péril lui parut si grand, elle se décida si vite, qu’elle ne relut même pas la biographie de Byron ; dans sa précipitation, elle commit d’étranges erreurs, ironiquement relevées depuis par la presse anglaise, et parla d’événemens qu’elle connaissait à peine avec autant de confiance que si elle les eût connus à fond. Ne fallait-il pas venir en aide à la vertu opprimée ? ne fallait-il pas surtout plaider la cause des femmes ? Dans un pays où les femmes exercent sur les hommes un empire illimité, pouvait-on laisser imprimer que lady Byron avait plus de torts envers son mari que celui-ci n’en avait envers elle ? S’il y avait eu un démêlé entre le mari et la femme, n’était-ce pas nécessairement la femme qui avait raison, le mari qui était criminel ? L’honneur de son sexe imposait à mistress Beecher Stowe l’obligation de combattre pour la défense du droit, de la vérité, de la justice. Elle poussa le cri de ralliement, elle appela à la rescousse tous les combattans de la bonne cause. Il ne s’agissait pas seulement pour elle de la réputation d’une personne chère, il s’agissait de la renommée de galanterie chevaleresque que les Américains ont conquise, et qu’il leur importe de conserver. Une chrétienne, une sainte était calomniée ; n’est-ce point en Amérique, sur cette terre où les mœurs entourent chaque femme de la protection et du respect de tous, qu’elle devait trouver ses plus ardens avocats ? On dirait qu’en soutenant les intérêts de lady Byron, mistress Beecher Stowe entreprend une croisade patriotique et religieuse ; un prédicateur populaire, un entrepreneur de manifestations publiques, ne parleraient pas autrement, avec plus d’emphase et d’assurance, aux populations assemblées. « Mes concitoyens d’Amérique, s’écrie-t-elle,… j’ai foi en vous, je mets mon orgueil en mes compatriotes comme en des hommes auprès desquels, plus qu’auprès de tous les autres, la cause d’une femme est sûre et sacrée… Quel intérêt avons-nous, vous ou moi, mon frère et ma sœur, dans cette courte vie, à dire autre chose que la vérité ? La vérité, entre l’homme et l’homme, entre l’homme et la femme, n’est-elle pas le fondement sur lequel tout repose ? Chacun de vous, qui doit un jour rendre