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à-dire d’hommes moins brillans que probes et moins inventifs qu’éclairés, capables de calculer les conséquences de leurs actions avant de les commettre, préférant les paroles qui éteignent les incendies à celles qui les allument, et susceptibles de poursuivre l’exécution d’une pensée pendant de longues années sans se rebuter. La vie de ce vieil abbé Mayeul peut donc nous donner une leçon morale d’à-propos en nous aidant à réfléchir sur les qualités par lesquelles on se fait sinon aimer, au moins suivre docilement par la fortune.

Tous les monumens et tous les objets que renferment les églises ne sont pas toujours, comme nous l’avons déjà vu plusieurs fois, d’une orthodoxie irréprochable, et l’église de Souvigny en particulier a donné abri à certaine curiosité d’art dont la signification est loin d’être claire. C’est une colonne que le caractère des sculptures dont elle est ornée permet d’attribuer au XVe siècle. Tout est mystère dans ce singulier monument. Et d’abord on ne sait d’où il est venu, s’il appartenait à l’abbaye ou s’il a été apporté du dehors pour être préservé de la ruine. En second lieu, cette colonne, dont la forme est octogonale, est tronquée, ce n’est qu’un fragment que nous avons sous les yeux, mais un fragment tellement considérable, qu’il est difficile de déterminer l’étendue de la mutilation. Enfin on peut se demander si cette colonne était unique ou si elle n’avait pas un pendant. M. de Caumont, le laborieux antiquaire dont l’archéologie déplore la perte récente, pensait qu’elle était unique, qu’elle mesurait environ 18 pieds de hauteur, et que le fragment que nous en avons n’en était guère que la moitié. Cela étant admis, il n’en reste pas moins difficile de comprendre à quel usage pouvait servir ce monument solitaire ; mais ce qui est plus singulier que tout le reste, c’est le caractère des sculptures dont ce fragment est orné, surtout de celles de trois de ses huit faces. Sur l’une de ces faces sont représentés quelques-uns des signes du zodiaque, cinq ou six seulement, ce qui prouve nettement que la moitié du monument est détruite ou qu’il avait un pendant symétrique qui est perdu. Sur les deux autres faces, qui correspondent à cette première, sont étages divers échantillons d’une création primitive fabuleuse et réelle à la fois. Tout en haut d’une de ces faces, à l’endroit où la colonne a été tronquée, on distingue les restes d’un énorme animal aquatique, quelque chose comme le léviathan de la Bible ou le plésiosaure des géologues modernes ; sous le serpent monstrueux, l’éléphant nous présente sa forme massive bien connue ; au-dessous de l’éléphant se dresse la licorne des légendes et des armoiries, au-dessous de la licorne une sirène, au-dessous de la sirène un autre monstre baroque, moitié femme et moitié oiseau, création hybride de terre ferme, comme la sirène est une création hybride de l’eau. La seconde de ces faces est plus curieuse encore ; au serpent tron-