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volutions : elles peuvent bien sortir du peuple, et presque toujours elles y prennent naissance ; mais elles ne peuvent vivre et grandir qu’en s’éloignant de lui, elles ne peuvent se consolider qu’en se séparant de lui, elles ne peuvent dominer qu’en se superposant à lui. Pour se purifier de leurs confusions et de leurs scories, il leur faut passer par les creusets des docteurs, — pour se défendre et trouver appui, il leur faut contracter alliance avec les représentans des forces organisées, en sorte que chacun de leurs progrès n’est qu’un pas qui les éloigne de leur origine, et que chacune de leurs victoires n’est qu’une défaite pour ceux qui les engendrèrent. Hélas! pensai-je, cette loi fatale, notre peuple actuel ne la soupçonne guère, mais ses arrière-petits-fils la connaîtront, ou plutôt ils n’y penseront même pas, tant le cours des événemens les aura entraînés loin des espérances de leurs pères, et tant les idées par lesquelles ils avaient cru s’assurer de la possession de la terre auront subi d’étranges métamorphoses.

Il n’y a guère qu’une heure et demie de chemin d’Aigueperse au château de Randan, ancienne propriété de Madame Adélaïde et propriété actuelle de M. le duc de Montpensier; allons-y faire notre dernière étape. C’est un manoir d’aspect imposant, mais d’une architecture quelque peu lourde, il faut bien l’avouer, noyée, étouffée qu’elle est par les pavillons et les énormes tours qui flanquent les façades de l’édifice. L’état intérieur de cette habitation se ressent nécessairement de la longue absence de ses maîtres légitimes, et aussi des changemens de main assez nombreux qu’elle a subis depuis quelques années. Lors de la confiscation des biens de la famille d’Orléans, le château fut acheté par M. le duc de Galliera, qui paraît n’y avoir jamais fait séjour, et qui à la rentrée des princes le rendit à M. le duc de Montpensier. Le duc de Montpensier à son tour le céda au duc d’Aumale, son frère, qui l’a possédé un instant; enfin il a fait définitivement retour à l’héritier de Madame Adélaïde. Aussi n’est-on point étonné en parcourant cette suite infinie d’appartemens de les trouver en grande partie démeublés ou garnis d’un mobilier tout moderne, mais de formes déjà démodées, car il est remarquable que les ameublemens modernes deviennent rapidement surannés, et, tandis que les mobiliers du temps passé en avaient pour environ un demi-siècle, ceux d’aujourd’hui résistent à peine quinze ans. De tous les objets amassés par Madame Adélaïde ou ses neveux, il n’est resté, sauf quelques meubles en tapisserie qu’on m’a dit avoir été brodés par les princesses, que les moins précieux, quelques curiosités exotiques rapportées de ses voyages par M. le prince de Joinville, une collection, assez curieuse à revoir aujourd’hui d’ensemble, des charges sculptées de Dantan, enfin