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aux vengeances implacables qui assiégeaient les portes de leurs bureaux ; ils pensaient qu’en matière d’administration la capacité est un titre plus sérieux que l’orthodoxie politique. Un autre point en litige était la reconstitution du corps d’artillerie, qui avait reçu une rude atteinte des démissions collectives acceptées par le précédent gouvernement. Des officiers instruits avaient été remplacés par des sergens désireux de bien faire ; mais le zèle ne supplée pas à la science. Les démissionnaires ne demandaient qu’à rentrer au service, à la seule condition qu’ils ne seraient pas exposés à recevoir des ordres du général Hidalgo. Plusieurs ministres, ne regardant qu’à l’intérêt de l’armée, étaient d’avis de les réintégrer dans leurs fonctions ; leurs collègues au contraire refusaient obstinément de confier de nouveau les canons à des mains suspectes d’alphonsisme. Chaque matin, on promettait le prochain règlement de cette affaire délicate ; chaque soir, on annonçait que de nouvelles difficultés avaient surgi. Elles n’ont été résolues que longtemps après par M. Castelar, lorsque, devenu président du pouvoir exécutif, il a fait prévaloir la politique de confiance et de conciliation.

En général, quel que fût l’objet de ses délibérations, deux tendances opposées se manifestaient dans le conseil. La majorité des ministres estimait que les mesures les plus populaires sont toujours les meilleures, la minorité que, sous peine de s’en aller à la dérive, le pilote doit quelquefois ruser avec le vent, et que résister est une partie de l’art de gouverner. Les uns tenaient qu’on n’implante les révolutions qu’en s’appuyant sur les révolutionnaires, les autres que, pour les asseoir définitivement, il faut les faire agréer des conservateurs. Ceux-là étaient avant tout des hommes de parti, ceux-ci étaient des patriotes. L’un de ces derniers n’a pas craint de dire : « Il est une chose que je préfère au fédéralisme, c’est la république, et il est une chose que je préfère à la république elle-même, c’est l’Espagne. » Cependant on s’était promis de ne se point brouiller jusqu’à la convocation des nouvelles certes, et, quelques dégoûts qu’éprouvât la minorité, elle s’en exprimait discrètement et demeurait à son poste. Le public s’apercevait bien à d’incessans cahots, à de brusques arrêts, que l’attelage était divisé, que les chevaux tiraient qui à droite, qui à gauche ; mais quand on les interrogeait, ils répondaient d’une seule voix qu’ils étaient d’intelligence, qu’ils n’avaient entre eux tous qu’une âme et qu’une république.

Ces dissidences qu’on exagérait, le progrès de l’anarchie, l’impunité dont jouissaient les factieux, le mécontentement et les inquiétudes qui s’emparaient de la bourgeoisie, d’autres circonstances encore avaient dès le mois d’avril relevé le courage et les espérances des radicaux. Les certes, où ils dominaient, n’étaient pas encore