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s’en remettre à l’avenir, qui sûrement les dédommagerait. Après avoir exécuté des variations brillantes sur ce thème, le ministère entonna son refrain favori, déclarant qu’on exagérait à plaisir la gravité de la situation, que sans doute le navire avait essuyé quelques bourrasques, mais que la coque n’était point avariée, et que, pilote et matelots, tout l’équipage ferait son devoir.

Tout à coup le ministre de la guerre, une dépêche à la main, interrompit la discussion, sous prétexte qu’il était survenu un grave incident dont il désirait conférer avec ses collègues. Quelques instans après, le ministère annonçait à la commission permanente que les bataillons de l’ancienne milice, rassemblés dans la Plaza de Toros, s’étaient mis en état de révolte et que, toute affaire cessante, il devait s’occuper de réduire les rebelles. C’était dire aux moutons de la fable : Nous traiterons avec vous quand nous aurons eu raison de vos chiens. Déroutée par le tour inattendu qu’avait pris le débat et par ce coup de Jarnac plus imprévu encore, la commission, après une faible résistance, consentit à suspendre sa séance jusqu’au soir. Joseph de Maistre prétend qu’à la guerre on n’est vainqueur ni vaincu qu’en idée, et que l’armée qui lâche pied est celle qui d’avance se sent battue. Il en va de même des commissions ; elles sont perdues quand elles se prennent à croire à leur défaite.

Que faisait pendant ce temps le maréchal Serrano ? Enfermé dans son hôtel, où lui tenait compagnie un nombreux état-major prêt à recevoir ses ordres, il n’en donnait point, parce qu’il n’en pouvait point donner. Il voulait se présenter au soldat, non comme un chef de mutins, mais comme le défenseur de la loi, représentée par les certes, et il attendait, pour entrer en campagne, de recevoir de la commission permanente un carré de papier qui lui apprendrait qu’elle l’avait muni de pleins pouvoirs. Les heures se passaient, le papier n’arriva point. Le destin condamnait l’épée du maréchal à demeurer clouée dans son fourreau ; elle s’étonnait de cette mésaventure, qui lui était nouvelle.

Actif et résolu, le gouvernement ne perdait pas le temps précieux que lui accordaient les indécisions et les atermoiemens des coalisés. Désormais il pouvait compter sur cette admirable garde civile dont les Espagnols sont justement fiers, et qu’on n’aurait pu détourner de son devoir qu’en lui prouvant que son devoir était douteux. Personne ne s’étant chargé de lui faire cette démonstration, elle ne voyait devant elle que des magistrats et des émeutiers, et son choix était fait. L’artillerie suivit son exemple. Vers sept heures, on entendit rouler dans la rue d’Alcala les canons qui se dirigeaient vers le Prado, et la Plaza de Toros fut bientôt étroitement cernée et bloquée. Les bataillons de la milice qui s’y trouvaient renfer-