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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/774

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Rome, moitié vanité d’artiste en quête de nouveaux succès, il se promena en Grèce, où il fit admirer sa belle voix. Les adulations dont il fut l’objet chez les descendans dégénérés des contemporains de Périclès le comblèrent de joie. Athènes pourtant eut la pudeur de son magnifique passé. Elle ne put se décider à lui envoyer une députation pour implorer la faveur d’une représentation impériale, et Néron n’osa se présenter de son chef; mais partout ailleurs il remporta le prix de tous les concours, il acquit la conviction, si chère aux artistes amateurs, que, s’il était réduit à vivre de ses ressources personnelles, son talent de chanteur lui vaudrait une mine d’or, et il déclara que les Grecs seuls lui donnaient des auditoires dignes de lui. Quand enfin, en 67, il daigna rentrer dans Rome, ce fut pour célébrer son triomphe avec une pompe inouïe et étaler dans le grand cirque les dix-huit cent huit couronnes qu’il croyait avoir gagnées.

Cependant ces jours de fête scandaleux touchaient à leur terme. La situation militaire de l’empire n’était pas bonne. La Bretagne, domptée à grand’peine, était frémissante, les régions du Rhin en pleine agitation, la Judée en pleine révolte et les armées romaines repoussées de l’Euphrate. Néron ne s’en préoccupait guère. Ce qui lui donna plus de souci, ce furent les nouvelles qui lui parvinrent des provinces occidentales. La Gaule avait pris son parti depuis longtemps de la conquête romaine; elle devenait peu à peu la première des provinces par la richesse, l’industrie, le goût des beaux-arts, et l’influence politique. Il semble que le sentiment de la dignité de l’empire était devenu général et puissant chez elle, une espèce de nouveau patriotisme. Ce furent les légions gallicanes qui le 15 mars 68 répondirent à l’appel de l’Aquitain Vindex en proclamant la déchéance de Néron. L’impérial artiste était alors à Naples. Il revint à Rome, où il apprit bientôt que les légions d’Espagne, commandées par Galba, fraternisaient avec celles de Gaule. Néron ne sut rien opposer de sérieux à ses adversaires. D’une folie il passait à une autre, mêlant à tout des citations des poètes grecs et d’absurdes conjectures sur les destinées qui pouvaient encore l’attendre en Orient. Cependant le péril grandissait d’heure en heure. Comme il arrive dans les révolutions nées du mépris, et que ceux même qu’elles contrarient sentent inévitables, le misérable voyait le vide se faire autour de lui. Des inscriptions injurieuses couvraient déjà les murs. La populace, ravie de voir du nouveau, lâchait, elle aussi, son empereur. Quand Néron apprit que les prétoriens eux-mêmes, gagnés par la contagion insurrectionnelle et scandalisés de son inaction, allaient se prononcer à leur tour, il comprit qu’il n’avait plus qu’à fuir. On sait comment, traqué dans sa dernière re-