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traite, il se fit tuer par un affranchi au fond de la caverne où il avait cru pouvoir se cacher. Sa dernière heure fait à la fois rire et frémir. Il trouva encore moyen de citer un vers de tragédie grecque au moment où les cavaliers envoyés pour se saisir de lui approchaient de sa cachette; ne pouvant se décider à se frapper de ses propres mains, il demanda qu’un de ses familiers se tuât avant lui pour lui donner du courage. Ce vœu suprême naturellement ne fut pas exaucé. Enfin, avant d’expirer, il put encore lancer cette exclamation étourdissante : « fidélité, qu’es-tu devenue! »


IV.

On eût bien étonné cet amateur des sensations fortes, si l’on avait pu lui prédire sous quels traits un obscur pamphlétaire de cet Orient, où il désirait tant se rendre, allait buriner son impériale personne et sous quelle forme il devait ressusciter aux yeux des érudits dix-huit siècles après sa mort. Il se pourrait après tout qu’il eût encore trouvé un certain plaisir de vanité dans la prévision que son nom resterait l’expression de la méchanceté idéale. Ce serait encore une manière de faire sensation, et n’est pas l’antechrist qui veut. Tel est le service qu’allait lui rendre l’auteur de l’Apocalypse. Quelques mois s’étaient à peine écoulés depuis sa disparition que les communautés chrétiennes d’Asie se passaient un livre mystérieux tout rempli de l’horreur qu’inspirait encore l’empereur déchu et des idées étranges qui n’avaient pas tardé à germer autour de son nom.

Dans la Revue du 1er octobre 1863, un travail entièrement consacré à l’étude de l’Apocalypse a résumé les résultats obtenus par la critique moderne sur ce livre si longtemps resté sans explication plausible ; qu’il nous soit permis d’en rappeler les points principaux.

L’Apocalypse dite de Jean fait partie d’une nombreuse famille de livres qui fleurit depuis le IIe siècle avant notre ère jusqu’au IIIe après elle. La tendance commune de ces écrits est de soumettre l’histoire antérieure à une symétrie numérique et d’annoncer, pour relever le courage abattu des bons, le prochain triomphe de la vérité divine et du droit sur l’erreur et l’oppression sataniques. Comme ces livres, juifs ou chrétiens, tout pénétrés d’idées messianiques, sont écrits dans les momens où la persécution sévit contre les justes, et que cette guerre déclarée à la bonne cause est toujours faite au nom d’un souverain quelconque, — que ce soit Antiochus, Hérode ou tel autre persécuteur royal des saints, — ce persécuteur concentre sur sa personne toutes les haines, toutes les malédictions des pieux persécutés, son pouvoir ne peut être qu’un don du diable, il est le grand adversaire du