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royaume de Dieu, en un mot il est l’antechrist. Eh bien ! dans l’Apocalypse johannique l’empire romain est la puissance de Satan, et Néron, son chef, est l’antechrist. C’est ce que deux indices irréfutables et se confirmant mutuellement mettent en pleine lumière. Le premier est un passage à la fois très clair d’intention et très énigmatique de forme, où l’auteur apocalyptique désigne en toutes lettres l’empereur Néron comme « la bête » monstrueuse que Satan a suscitée pour faire la guerre à Dieu, au Christ et à ses saints; nous disons en toutes lettres, mais conformément à une méthode rabbinique fondée sur la valeur numérique des lettres de l’alphabet hébreu. Tout le monde sait que dans les langues anciennes il n’y avait pas de chiffres distincts des lettres; les nombres s’exprimaient par une lettre ou un assemblage de lettres, comme nous le voyons encore dans l’usage des chiffres romains. On partait de là dans les écoles rabbiniques pour désigner des mots et surtout des noms propres par l’équivalent de la somme obtenue en additionnant leurs lettres. Or dans le passage de l’Apocalypse sur lequel l’auteur appelle l’attention très particulière de ses lecteurs (XIII, 18), il est dit que la bête porte un nom d’homme et que le nombre de ce nom est 666. Si maintenant on écrit en hébreu les deux mots César Néron et qu’on additionne les lettres dont ils sont formés, on obtient exactement 666. — La seconde preuve est fournie par une allusion plusieurs fois réitérée au fait paradoxal que cette bête au chiffre mystérieux a disparu, blessée à mort, et que pourtant elle vit, elle va revenir et porter au comble les maux des fidèles. Tant qu’on ne songea pas à rapprocher ces assertions bizarres de la personne de Néron, il fut impossible d’en comprendre un mot. Au contraire tout s’explique à merveille du moment que « la bête, » morte et pourtant vivante, n’est autre que Néron. Ce fut en effet le destin de ce maniaque d’être encore plus redouté dans les années qui suivirent sa mort qu’il n’avait pu l’être de son vivant. Comme nous l’avons dit, le peuple de Rome fut loin d’être unanime dans la joie que sa chute inspira à tous ceux qui avaient encore quelque souci de la dignité humaine. Les classes inférieures le regrettèrent beaucoup, et comme elles se faisaient une haute idée de son esprit, de ses ressources, comme les circonstances de sa mort étaient restées obscures et qu’on n’avait point vu son cadavre, comme enfin ses spéculations fantasques sur la gloire qui l’attendait en Orient avaient fini par transpirer dans le public, beaucoup s’imaginèrent que, trompant ses ennemis par des artifices dont il était seul capable, il avait réussi à gagner l’Asie, et que, réfugié derrière l’Euphrate, il n’attendait que le moment propice pour revenir à la tête d’une armée formidable. Malheur à ses ennemis ! Ils seraient impitoyablement punis. Malheur