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quels il n’avait qu’à l’emprunter. On peut bien le dire aujourd’hui, elle n’a jamais rencontré de réfutation sérieuse, elle n’a soulevé que des dénégations sans preuve, des dépits et des colères; mais il faut ajouter que M. Renan lui a donné le suprême degré de l’évidence par les confirmations intéressantes ou ingénieuses que son érudition personnelle lui a permis de glaner de tous les côtés. L’Apocalypse, ce rêve si complètement étranger au monde réel, est de tous les livres du Nouveau-Testament celui qui gagne le plus à être rapproché des documens de l’histoire dite profane. Il y a des fragmens entiers de Tacite, de Suétone, de Dion Cassius, de Zonaras, etc., qui lui servent de commentaires directs. Et cela non-seulement pour la thèse centrale de l’identité de l’antechrist et de Néron, mais aussi pour des passages qui n’ont aucun rapport nécessaire avec cette idée-mère du livre. Par exemple, on peut remarquer l’endroit où, s’adressant aux fidèles de Laodicée, le voyant de Patmos leur reproche de mettre une confiance orgueilleuse dans leurs richesses temporelles. C’est Tacite, sans s’en douter assurément, qui nous fournit l’explication. Laodicée, huit ans auparavant, — c’est lui-même qui le raconte, — avait été détruite par un affreux tremblement de terre; mais cette ville opulente se releva d’elle-même par ses propres ressources. Cette circonstance frappa beaucoup les esprits dans un siècle où les tremblemens de terre furent d’une grande fréquence et où beaucoup de villes en souffrirent. On conçoit aisément que les Laodicéens tirèrent une certaine vanité de l’aisance avec laquelle, sans rien demander à personne, ils avaient restauré leur ville détruite, lorsque d’autres cités moins éprouvées devaient aller mendier à Rome les aumônes de la pitié impériale.

C’est encore l’histoire profane du temps qui nous apprend ce que c’était que le a nom de blasphème » que l’auteur de l’Apocalypse voyait écrit sur les sept têtes du monstre, objet de son horreur. C’est le titre d’Auguste, en grec Sébaste, le surnom d’Octave, qui signifie vénérable, digne des honneurs divins, et qui plus que tout autre devait scandaliser les monothéistes rigides. Néron avait reçu de la bassesse populaire plus d’adulations de ce genre qu’aucun autre empereur avant lui. Pendant sa longue tournée, récente encore, en Grèce, il avait été l’objet d’ovations positivement idolâtres. A Rome même, un sénateur alla jusqu’à proposer de lui ériger un temple où il serait adoré de son vivant, ce qui était encore inoui. Il est donc tout simple que l’auteur de l’Apocalypse ait attribué à Néron revenant plus orgueilleux et plus terrible que jamais le dessein de se faire adorer par tout l’univers.

En qualité d’hébraïsant et d’orientaliste, M. Renan a pu réduire à néant, non pas des objections, mais des difficultés soulevées par