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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/779

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ceux dont l’interprétation scientifique de l’Apocalypse contrariait les vues favorites. Ainsi des doutes un peu subtils avaient été émis sur la véritable orthographe hébraïque du mot César; les citations de M. Renan démontrent qu’ils n’ont pas l’ombre d’un fondement. On avait dit que ce n’était pas la coutume chez les Juifs et en Asie d’accoler les deux noms César et Néron ; il se trouve au contraire que telle était précisément l’habitude des chrétiens d’Asie, et qu’en particulier les monnaies asiatiques du temps, celles que l’auteur canonique dut manier lui-même, ont pour légende : Néron César[1].

Parmi les nombreuses énigmes du livre, il en est une que M. Renan n’a pu deviner à sa pleine satisfaction. C’est celle qui concerne « le faux prophète, » qui séduit les hommes par sa parole et ses prodiges, qui parle comme la Bête et pour elle, qui engage à l’adorer et qui porte « deux cornes » comme « l’Agneau » ou le Christ, c’est-à-dire qui joue un rôle de faux Christ et de prétendu révélateur. Impossible, comme on l’a voulu quelquefois, de songer à Tibère Alexandre, le juif apostat, vendu à la cause romaine, tout dévoué aux césars, mais qui n’eut rien d’un thaumaturge ni d’un prêcheur ambulant. On a beau chercher dans l’histoire contemporaine, on ne trouve que deux noms propres qui pourraient à la rigueur convenir à cette incarnation du prophétisme infernal, Simon le Magicien et saint Paul; mais le premier est bien légendaire. On peut se demander s’il a jamais été autre chose que le décalque malveillant du se-

  1. Il est toutefois un détail sur lequel la perspicacité de M. Renan me semble en défaut. Parmi les indications que l’auteur de l’Apocalypse donne à mots couverts pour mettre ses lecteurs sur la voie, on remarque le passage où il est dit que les sept têtes du grand monstre (l’empire romain) suscité par Satan pour s’opposer au règne de Dieu sont sept empereurs (XVII, 10), que cinq sur les sept sont tombés, que le sixième règne, que son successeur n’est pas encore venu, mais qu’il ne subsistera que peu de temps. En effet, dans la supputation du voyant, le monde actuel n’a plus que trois ans et demi de durée; par conséquent le septième, exigé par la symétrie septimale, ne devra régner que très peu de temps. Il résulte de ce calcul que Néron a été le cinquième empereur, et que, lors de son retour, il sera le huitième (Ibid., II). Or, en comptant les empereurs à partir de Jules César inclusivement, comme le fait M. Renan, Néron serait le sixième (Jules César, Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron), et c’est ce que le système du livre ne permet pas d’admettre. Il est vrai que plusieurs historiens ont compté les empereurs en y comprenant Jules César. Ce n’était pourtant pas le calcul officiel, ni même le calcul rationnel. En fait comme en droit, Auguste fut le premier empereur; César ne fut que dictateur. Le triumvirat qui s’établit après sa mort prouve que l’empire n’était pas encore considéré comme une institution définitive. C’est ainsi que raisonne Tacite (Ann., I, 1; Hist., I, 1, 90. Voyez aussi Florus, I, Prol., et IV, 3; Zonaras, Ann., X, 32; Hippolyte, De Antichr., 50). Nous avons seulement ainsi les sept sébastes, dont le nom est un blasphème. D’ailleurs, au point de vue juif, l’ère de l’opposition satanique au règne de Dieu commence avec Auguste, qui, par la déposition d’Archclaüs, place la Judée sous la domination directe de Rome. Les Juifs, dans la guerre de César contre Pompée, prirent le parti du premier, qui s’en montra reconnaissant.