Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impossible dans le premier cas que dans le second de garder un sang-froid absolu. Un homme qu’on accuse d’avoir commis un crime, qui sait qu’il a commis ce crime, est forcément ému à l’aspect du juge qui l’interroge, à l’idée de l’accusation dont il est l’objet, quand même le crime a été perpétré dans une heure de délire. D’autre part, il peut très bien arriver qu’un malfaiteur endurci qui s’est rendu coupable d’un crime parfaitement prémédité ait assez d’empire sur lui-même pour n’éprouver, quand on lui en rappelle les circonstances, qu’une émotion insignifiante. N’importe, l’idée de M. Cyon est digne de l’attention des physiologistes psychologues, et il ne faut pas désespérer de voir un jour les traités de psychologie terminer leurs descriptions des états passionnels par un tracé graphique représentant le rhythme des contractions du cœur correspondant à chaque passion. Ces tracés seront aussi précis que fidèles, car, si la volonté est maîtresse des mouvemens apparens et des démonstrations visibles, elle n’a presque aucun empire sur les viscères cachés, comme le cœur, et ceux-ci sont des témoins véridiques toujours prêts à rectifier les dépositions mensongères.


II.

Il faut bien cependant reconnaître que les muscles soumis à la volonté ne sont pas toujours employés à dissimuler les passions, que bien souvent au contraire ils trahissent par leur attitude presque automatique l’état réel des affections. C’est en vain qu’un homme furieux voudrait rester immobile. Tous ses membres sont agités de mouvemens impétueux. Dans l’étonnement, il y a une résolution musculaire telle que les bras en tombent, comme on dit vulgairement. La crainte ôte les jambes, elle pétrifie. Aucun des muscles du corps n’éprouve sous l’influence des passions autant de modifications que ceux de la face. La physionomie est vraiment ici révélatrice des états intérieurs de l’âme. « Lorsque l’âme est agitée, dit Buffon, la face humaine devient un tableau vivant où les passions, sont rendues avec autant de délicatesse que d’énergie, où chaque mouvement de l’âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l’impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos plus secrètes agitations. » Quoi de plus complexe et de plus ondoyant en effet que ce concert où les lignes du visage se contractent ou s’infléchissent en mille sens divers, où les teintes de la chair réunissent toutes les tonalités de la gamme chromatique, et où l’œil projette sur le tableau les clartés de l’ardeur ou les ombres de la langueur !