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détermine en effet, dans l’ordre des battemens cardiaques, quelque modification tellement spéciale et caractéristique qu’il est permis de considérer chaque passion comme ayant sa courbe propre. M. Cyon, qui a émis récemment cette ingénieuse idée d’appliquer les appareils enregistreurs à la physiologie des passions, donne quelques exemples qui font voir la portée des expériences de ce genre. Parmi les héritiers qui entourent le lit d’un mourant, il en est chez qui une douleur sincère provoque des battemens forts et lents. Il en est d’autres chez qui une attente impatiente donne lieu à des battemens faibles et rapides. L’appareil qui écrit avec une précision merveilleuse le rhythme des contractions cardiaques, le cardiographe, serait capable dans ce cas de trahir les vrais sentimens des héritiers. Cet exemple, donné par M. Cyon, n’a rien d’excessif, et nous ne doutons pas qu’un instrument d’une grande sensibilité puisse accuser les différences dont il s’agit ici. Peut-être n’en serait-il pas de même dans le cas suivant, beaucoup plus compliqué. Les modifications des battemens du cœur interviennent de deux manières dans la détermination de nos penchans et dans les actions qui en procèdent, ou bien en provoquant des changemens subits dans la quantité de sang qui baigne les centres nerveux, ou bien en nous faisant éprouver des sensations agréables ou pénibles par l’intermédiaire des nerfs dépresseurs. Or une affluence soudaine de sang au cerveau et des sensations extrêmement douloureuses peuvent amener un homme qui ne souffre d’aucune maladie mentale aux idées les plus insensées et aux actes les plus graves. L’homme qui a commis un crime dans des conditions mal connues a-t-il été mû, d’une façon inconsciente, par des causes physiologiques, ou déterminé par un calcul réfléchi et froid? Voici comment M. Cyon pense qu’on peut résoudre le problème. L’âme possède la faculté d’éprouver par le souvenir d’un acte passionnel des émotions du même genre que celles qu’elle a ressenties à l’instant de cet acte. Le récit détaillé d’un crime en particulier doit produire sur l’accusé qui l’écoute, et dans le cas où l’accusé a perpétré le crime sciemment, les émotions dont il s’agit et les mouvemens cardiaques nécessairement corrélatifs à ces émotions. Le juge pourra par conséquent, au moyen du cardiographe, constater la présence ou l’absence de ces mouvemens, et conclure que l’accusé a ou n’a pas le souvenir du crime, c’est-à-dire a commis le crime avec ou sans conscience. Cet exemple est plus ingénieux que plausible et d’une vérité plus théorique que pratique. Sans doute un individu qui a commis un crime en état de délire peut ne pas éprouver, en écoutant le récit de ce crime, les mêmes émotions et par suite les mêmes modifications du mouvement cardiaque que s’il l’avait commis en parfaite connaissance de cause; mais il lui est aussi