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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/844

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position oblique? Le voici. Quand les enfans crient sous l’influence de la faim ou de la douleur, l’action de crier modifie profondément la circulation, le sang se porte à la tête et principalement vers les yeux, d’où résulte une sensation désagréable. Les muscles qui entourent les yeux se contractent alors de manière à les protéger, et cette action est devenue, sous l’influence de la sélection et de l’hérédité, une habitude instinctive.

La plupart des explications ingénieuses de M. Darwin tendent ainsi à ramener les mouvemens de physionomie actuellement involontaires et instinctifs à des mouvemens primitivement volontaires et motivés. Beaucoup de ces explications paraissent plausibles, mais il ne reste pas moins vrai que la physionomie trahit les émotions et les passions par des signes tout à fait indépendans de la volonté. Que certains mouvemens musculaires de la face aient l’origine que leur assigne M. Darwin, fort bien, mais nous ne voyons pas comment l’habile naturaliste ramènerait à son hypothèse fondamentale ces mouvemens complexes qui se traduisent par le rire, par la sécrétion des larmes, par la rougeur, par la pâleur, par la turgescence ou la flaccidité des chairs, par l’éclat ou l’assombrissement du regard. Tous ces phénomènes, qui ne sont pas sans rapport avec les agitations musculaires de la face, sont complètement indépendans de la volonté, et inexplicables par des raisons du genre de celles que M. Darwin invoque pour interpréter la contraction du sourciller dans la souffrance ou la contraction des lèvres dans la colère. Il semble donc nécessaire d’admettre que l’ébranlement des centres céphaliques provoqué par les passions détermine, par suite même des relations anatomiques de ces centres avec les nerfs et les muscles de la face, des phénomènes réflexes dont la production n’a jamais été sous l’empire de notre libre arbitre. C’est l’habitude de voir telle expression associée à telle passion qui nous fait instinctivement juger de l’une d’après l’autre, mais l’habitude n’est pas la cause efficiente de l’expression.

Il resterait à considérer un dernier ensemble de phénomènes physiologiques portant l’empreinte des passions; ce sont les phénomènes vocaux. Les inflexions de la voix dans ses rapports avec les passions sont aussi variées que les expressions de la physionomie. Chaque passion a son langage, son timbre, ses notes, comme elle a son nerf et son muscle ; seulement l’analyse physiologique est encore bien plus malaisée ici que dans le cas de la physionomie. Comment démêler les mécanismes qui sollicitent le poumon et le larynx à produire le pleur, le cri, le gémissement, le sanglot, le soupir? On connaît l’ensemble des fonctionnemens musculaires qui donnent lieu à ces expressions diverses de l’état de l’âme, mais pourquoi le