Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/884

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je voulais dire un mois, répliqua Carrie, qui s’en allait à la dérive de plus en plus dans son ignorance et son trouble.

— Vous ne savez donc pas ce que vous dites? fit aigrement Mme Tretherick, prête à la secouer de façon à obtenir la vérité; mais la petite tête ébouriffée disparut tout à coup dans les plis de sa robe, comme si elle eût tenté d’y étouffer ses boucles flamboyantes.

— Allons, allons, ne reniflez pas ainsi, finissons-en! dit Mme Tretherick, qui ne songeait qu’à préserver sa robe des embrassemens humides de l’enfant. Finissons-en, et ne me rompez plus la tête. Ecoute! ajouta-t-elle comme Carrie s’éloignait, où est ton papa?

— Il est parti aussi. Il est malade; il n’est plus à la maison depuis... deux ou trois jours.

— Qui donc prend soin de toi? demanda la jeune femme, l’observant avec une curiosité nouvelle.

— John, notre Chinois. Je m’habille moi-même; John fait la cuisine et les lits.

— Eh bien! va-t’en et conduis-toi bien, dit Mme Tretherick, se rappelant le but de sa visite. Attends encore un peu. Où vas-tu? reprit-elle, comme l’enfant se disposait à monter l’escalier en traînant sa longue poupée derrière elle par une jambe.

— Jouer là-haut et être sage, et ne pas ennuyer maman.

— Une fois pour toutes, je ne suis pas ta maman, cria Mme Tretherick; puis elle rentra dans la chambre et ferma bruyamment la porte. Une fois seule, elle tira une grande malle du cabinet et se mit avec une précipitation nerveuse à emballer sa garde-robe. En se déchirant les mains aux agrafes et aux épingles, elle poursuivait un commentaire indigné sur les événemens des dernières minutes. Tout était éclairci pour elle. Tretherick avait fait venir l’enfant de son premier mariage, cette enfant dont il n’avait jamais paru jusque-là se rappeler l’existence, pour l’insulter, pour prendre sa place. Sans doute sa première femme ne tarderait pas d’arriver aussi, à moins qu’il n’en préférât une troisième. Bien entendu, cette Caroline devait ressembler à sa mère, et avec ses cheveux rouges elle n’était rien moins que jolie. Peut-être aussi tout cela avait été préparé de longue main; cette enfant, l’image de sa mère, était restée à une distance commode, à Sacramento, pour attendre le moment où l’on aurait besoin d’elle. Mme Tretherick se rappelait les visites de son mari dans cette ville, voyages d’affaires, prétendait-il. Qui pouvait dire si la mère n’y était pas déjà?.. Mais non, elle était partie pour l’est. Néanmoins Mme Tretherick, dans son emportement, décida qu’elle devait y être. Certes aucune femme n’avait jamais été aussi indignement outragée ! Elle se traçait un portrait romanesque d’elle-même; elle se voyait seule et abandonnée, assise au coucher