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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/900

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prête à pleurer, au bord du fossé, la secoua rudement, et d’une voix brève : — Vous dormirez tout à l’heure!.. Chut! qu’est-ce que cela?..

C’était le carillon des clochettes d’un traîneau. Dans les ténèbres, ce traîneau s’avançait vers elles. — Baissez la tête, mesdemoiselles, si quelqu’un nous reconnaît, nous sommes perdues !

Mais une voix tout à fait étrangère, d’un timbre agréable et bienveillant du reste, demanda s’il n’y avait pas moyen de venir en aide à cette société apparemment égarée dans la neige. Vaguement les jeunes filles distinguèrent un homme enveloppé de fourrures et le visage à demi caché sous un bonnet également fourré qui ne laissait voir qu’une paire de longues moustaches et deux yeux perçans. Ces demoiselles, croyant à un secours céleste, acceptèrent avec allégresse de monter dans le traîneau. — Où vous conduirai-je? demanda l’inconnu.

Elles se consultèrent à voix basse, puis Kate dit résolument : — A l’institut!

Le traîneau roula en silence jusqu’au sommet de la colline. Quand les longs bâtimens de brique se dessinèrent dans l’ombre, l’étranger arrêta ses chevaux. — Vous connaissez le chemin mieux que moi, dit-il; par où faut-il entrer?

— Par la fenêtre de derrière, répliqua Kate avec la franchise qui la caractérisait.

— Je comprends, répondit l’étranger, et, sautant à terre, il enleva les clochettes du harnais. — Nous pouvons maintenant approcher tant que vous voudrez.

En longeant les murs, on arriva enfin à quelques mètres de la fenêtre indiquée. L’inconnu aida les jeunes filles à descendre. La réverbération presque imperceptible de la neige lui permit cependant d’observer de près chacune d’elles, et elles se rendirent compte parfaitement de cet examen respectueux, mais attentif. Lorsqu’il leur eut prêté main-forte pour la délicate ascension ; — Merci et bonsoir! chuchotèrent trois douces voix. — Deux ombres s’évanouirent, une seule restait en arrière, ce que voyant l’étranger fit du feu sous prétexte d’allumer un cigare. Au moment où jaillit la lumière, il vit la tête brune de Kate délicieusement encadrée par la croisée. L’allumette brûla dans ses doigts lentement, mais trop vite à son gré. Kate souriait avec malice : elle avait démêlé le pitoyable subterfuge; sinon à quoi lui eût servi d’être la première de sa classe?

L’ouragan s’était apaisé, le soleil éclairait gaîment la salle d’étude le lendemain matin, quand Mme Kate van Corlear, dont la place était près de la fenêtre, appuya une main sur son cœur de la façon la plus pathétique. — Il est venu ! souffla-t-elle d’une voix basse et précipitée à l’oreille de Carrie, sa voisine.