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avenir et sa position sociale, insinua M. Robinson, qui pensait aux espérances de son fils.

En vain Prince allégua que Mme Starbottle se mourait, qu’elle était innocente de toute complicité dans la fuite de Carrie, que la jeune fille avait cédé à un élan spontané d’affection et de reconnaissance, qu’elle demeurait parfaitement libre de revenir sur ce premier mouvement. Lorsqu’il vit que rien ne pouvait les désarmer, il ajouta, le dédain dans les yeux, mais avec un sang-froid singulier : — Encore un mot. Il est de mon devoir de vous informer d’une circonstance qui m’autoriserait, moi l’un des exécuteurs testamentaires de feu M. Tretherick, à ne tenir aucun compte de vos exigences. Quelques mois après la mort de M. Tretherick, un Chinois, ancien domestique de sa maison, nous a révélé l’existence d’un testament qui fut dans la suite trouvé parmi ses papiers. La valeur insignifiante des terrains empêcha les exécuteurs d’attacher aucune importance à ce testament, de le faire seulement homologuer ou connaître de quelque façon que ce fût, jusqu’à ces deux ou trois années dernières, où la propriété augmenta tout à coup prodigieusement de valeur. Les clauses de cet acte sont simples et indiscutables. La propriété est partagée entre Carrie et sa belle-mère, à la condition expresse que cette dernière devienne sa tutrice légale, se charge de son éducation et lui tienne lieu de famille sous tous les rapports.

— Quelle est la valeur du legs ? demanda M. Robinson avidement.

— Près d’un demi-million.

— En ce cas, je dois, comme ami de Mme Tretherick, déclarer que sa conduite est parfaitement honorable et justifiée à mes yeux.

— Je ne me permettrai pas de discuter les désirs de feu mon mari ni d’y apporter le moindre obstacle, ajouta Mme Tretherick adoucie. — La conversation se termina. Quand Mme Starbottle en fut informée, elle porta la main de Jack à ses lèvres : — Rien ne pouvait plus ajouter à mon bonheur ; mais dites-moi, pourquoi avez-vous caché toutes ces choses à Carrie ?

Il sourit sans répondre, ne se souciant pas d’avouer l’épreuve qu’il avait voulu faire subir à ce jeune cœur.

En une semaine, les formalités légales furent terminées et Carrie remise définitivement à sa belle-mère. On loua une petite maison près de la ville pour y attendre le printemps, qui fut tardif cette année-là, et la convalescence de Mme Starbottle, qui ne vint jamais. Pourtant elle conservait une bienheureuse confiance. De sa fenêtre, elle regardait les arbres pousser leurs bourgeons, ce qu’elle n’avait jamais vu en Californie, et ne se lassait pas de demander à Carrie le nom de chacun d’eux avec un intérêt enfantin ; elle faisait pour