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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/947

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« Je vais, écrivit-il le 27 août au commandant de la station française, passer par le canal de Chio et aller m’établir en croisière entre Hydra et Thermia. » Était-ce bien là le point qu’il eût fallu choisir pour se mettre en mesure d’intercepter une flotte qui ne pouvait rien entreprendre de sérieux avant d’avoir touché à Navarin ? L’amiral de Rigny me paraît avoir mis plus de franchise dans son abstention en gardant ses vaisseaux sur la rade de Paros. Ni l’un ni l’autre des amiraux n’ignorait d’ailleurs en ce moment que les différens avis donnés à Méhémet-Ali pour l’engager à retarder l’expédition de sa flotte avaient été infructueux. Ils savaient tous les deux que « la situation du vice-roi vis-à-vis des Turcs ne lui avait pas permis de différer davantage ; » mais ils ne se croyaient pas encore suffisamment autorisés à « empêcher la flotte égyptienne d’atteindre la Morée. » — « Les instructions que nous avons reçues, écrivait l’amiral français au ministre le 31 août, n’ont rien précisé à cet égard. Devons-nous interdire seulement aux flottes ottomanes l’accès d’un point où elles iraient tenter un débarquement hostile, ou faut-il les éloigner des ports mêmes de la péninsule dont Ibrahim est en possession ? » Ces incertitudes aplanirent la voie à Tahir-Pacha et à Moharem-Bey. Retenus pendant plusieurs jours par le calme et les vents contraires sous le cap Raz-Attin, ils entraient le 7 et le 8 septembre avec quatre-vingt-douze voiles dans le port de Navarin. Le 10 au soir, l’amiral Codrington pouvait de ses propres yeux y constater leur présence.

L’amiral anglais avait alors sous ses ordres trois vaisseaux de ligne, deux frégates et deux corvettes. « En arrivant, dit-il, j’ai trouvé la flotte égyptienne à l’ancre : je la surveille. » Cette assurance n’arrêta ni les plaintes des Grecs ni celles de leurs partisans. Il était difficile en effet de persuader à des gens ombrageux et désespérés que l’apparition tardive de l’escadre anglaise, que l’absence totale de nos bâtimens, fussent un pur effet du hasard. Les Grecs et les philhellènes voyaient dans ce contre-temps une combinaison déloyale qui les faisait douter, suivant l’expression du consul de France à Malte, M. Miège, de la réalisation de leurs espérances. « Ibrahim-Pacha, disaient-ils, est maintenant, avec les secours en hommes et en munitions qu’il a reçus, en mesure de nous accabler. Le traité du 6 juillet n’a eu qu’un objet : empêcher les Russes de passer le Pruth. Jamais il n’est entré dans l’esprit des cabinets de Londres et de Paris d’obliger la Porte par la force des armes à souscrire aux conditions qu’on feignait de lui imposer. Ces dispositions, bien connues du divan, ont dicté son refus auquel les insinuations de l’Autriche ne sont pas restées étrangères. Il ne sera pas tiré un seul coup de canon. On a voulu ôter à la Russie tout prétexte de