Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avorta, il, n’en montre pas moins ce qu’aurait pu faire l’ancienne monarchie en poursuivant résolument contre les excès du pouvoir judiciaire le système de réformes où elle était depuis longtemps entrée. Il eût fallu seulement à Louis XVI cet esprit de suite et cette volonté énergique qu’avait eus le grand roi son ancêtre. Ses tergiversations enhardirent la résistance des parlemens, qui plaisait à l’esprit frondeur des Français malgré tout ce que ces cours de justice avaient de rétrograde et d’exclusif.

Est-ce à dire qu’il ne restait plus à la fin du XVIIIe siècle qu’à poursuivre l’œuvre de Richelieu et de Louis XIV ? Assurément non. L’absolutisme monarchique, qui avait achevé la partie bienfaisante de sa mission, commençait à dépasser le but. Le pouvoir administratif expulsait le pouvoir judiciaire non-seulement du domaine usurpé par celui-ci, mais encore du champ qui lui appartenait en propre. Les intendans menaçaient de devenir de petits proconsuls, leurs attributions s’étaient tant accrues qu’il était difficile à ces fonctionnaires de suffire à une si vaste tâche, et ce qui arrivait pour le roi se produisait aussi pour les représentans de ses conseils dans les provinces. « Pour pouvoir bien commander un peuple, écrivait Turgot à Louis XVI, il faudrait connaître sa situation, ses besoins, ses facultés, même dans un assez grand détail ; C’est ce que ne peut point espérer le roi dans l’état actuel des choses, ce que ses ministres ne peuvent se promettre, ce que les intendans et leurs délégués ne peuvent guère. » Le danger auquel les fonctionnaires qui commandaient à tout dans les provinces exposaient l’administration, c’était l’exagération des principes qui en avaient renouvelé l’action et rendu l’influence plus salutaire. Investis d’une autorité excessive, d’abord nécessaire pour vaincre les résistances qui s’opposaient au plan dont ils pressaient la réalisation, ils étaient enclins à pousser jusqu’aux dernières limites le despotisme royal ; ils confondaient sans cesse en un seul des pouvoirs qui auraient dû être séparés. Les intendans, comme le faisait observer Necker, ne se bornaient pas à diriger cette partie de l’administration qui doit constamment reposer sur l’agent du pouvoir central, ils se substituaient à tous les ressorts dont se composait le gouvernement de la province ; ils voulaient que ses rouages ne reçussent le mouvement que du seul conseil du roi, dont ils étaient les émissaires ; ils ne permettaient pas à la population de prendre par des mandataires librement élus la part qui aurait dû lui revenir dans l’examen et la discussion des charges à elle imposées. Le système représentatif, au lieu de s’étendre et de se compléter dans les provinces, s’était de plus en plus limité. La plupart des états provinciaux avaient graduellement disparu, ceux qu’on laissait subsister n’offraient qu’une organisation