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La Daphné eut 6 hommes hors de combat. L’Alcyone, bien que plus exposée encore, ne perdit qu’un seul homme, et ne compta en tout que neuf blessés ; parmi ces blessés se trouvait le lieutenant Dubourdieu, qui, amputé d’une jambe pendant l’action même, mourut vice-amiral en 1858 après les plus éclatans services. Il est cinq heures du soir, le combat a pour ainsi dire cessé ; l’artillerie des vaisseaux alliés a pris un tel ascendant que les Turcs ne ripostent plus, si ce n’est par quelques coups épars. La première ligne était entièrement détruite. Les navires qui n’étaient ni rasés, ni incendiés, ni coulés, s’en allaient à la côte. « De cet armement formidable, écrivait l’amiral de Rigny, il reste aujourd’hui à flot une vingtaine de corvettes ou de bricks ; encore ces navires sont-ils abandonnés. Il n’est pas d’exemple d’une destruction aussi complète. »

Les alliés n’avaient opposé que douze cent soixante-dix canons à deux mille, mais presque tous leurs coups portaient ; ceux des Ottomans se perdaient en majeure partie. Aussi le carnage à bord des bâtimens turcs fut-il épouvantable. On a évalué la perte totale des Ottomans à 6,000 hommes. Les deux navires à bord desquels flottaient les pavillons de l’amiral turc et de l’amiral égyptien eurent à eux seuls plus d’un millier d’hommes hors de combat. Le chiffre de ceux qu’atteignit le feu de l’ennemi à bord des trois escadres alliées montre assez la disproportion de la lutte. Il fut de 654, — dont 272 Anglais, 184 Français et 198 Russes. Les trois navires amiraux furent les plus maltraités. La chose s’explique aisément. Ces bâtimens marchaient en tête de leur colonne. Ils supportèrent ainsi le premier feu, le seul qui fût à craindre en affrontant des Turcs.

La nuit vint enfin étendre son linceul sur cette scène de désolation. Le canon s’était tu. L’heure du repos n’avait pas encore sonné. L’ennemi achevait sa destruction de ses propres mains. En évacuant successivement les navires que nous n’avions pas coulés, il y mettait le feu. La plupart de ces bâtimens allaient se consumer à la côte ; d’autres erraient en rade poussés sur notre aile gauche par la brise variable alors de l’est à l’est-sud-est. À l’exception des sinistres lueurs projetées de distance en distance par ces torches flottantes, des éclats soudains produits par les explosions, tout était silence et ténèbres sur la rade. On n’y apercevait que des masses confuses, on n’y entendait que le sifflet enroué des maîtres d’équipage occupés à faire élonger des amarres, ou la cadence monotone des avirons dans les canots de ronde. Ces dernières heures semblèrent les plus longues à nos officiers accablés de fatigue. Tant qu’avait duré le combat, l’émotion de la lutte avait soutenu leur courage et leurs forces. Quand il n’y eut plus qu’à ranger les vaisseaux de côté pour laisser passer les brûlots, qu’à éteindre des débris fu-