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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/976

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jugent pas. Ceux qui ont eu avant nous des malheurs s’efforcent de les réparer, ils oublient dans une meilleure fortune un temps où ils étaient réduits, eux aussi, à se demander comment ils se relèveraient. L’Autriche a souvent éprouvé des défaites dans sa longue existence, rarement elle a su en profiter comme elle l’a fait depuis sept ans. Les événemens de 1866 ont été pour elle en réalité le point de départ d’une ère nouvelle de réorganisation, de politique libérale, de pacification, sous les auspices du souverain se prêtant lui-même à toutes les réformes, et un des signes les plus caractéristiques de cette situation plus heureuse est la franche spontanéité avec laquelle on vient de célébrer dans tous les états autrichiens l’anniversaire du couronnement de l’empereur François-Joseph, dont le règne a compté vingt-cinq ans le 2 décembre. Le jubilé impérial est devenu l’occasion naturelle des manifestations les plus expansives de tous les sentimens de fidélité dynastique, et ces manifestations, le gouvernement ne les a en aucune façon provoquées. Elles sont venues librement, loyalement de toutes parts, de la Bohême comme des autres provinces, des villes, des corporations comme de l’armée. C’est un de ces jours où François-Joseph est apparu une fois de plus comme la vivante, la traditionnelle et populaire personnification de la vieille Autriche sans distinction de classes ou de nationalités, et, par un sentiment aussi élevé que délicat, auquel se sont associées les villes et les provinces, le souverain a voulu que ce jubilé fût marqué moins par des fêtes somptueuses que par la fondation de nouvelles institutions de bienfaisance et d’utilité. Des députations sans nombre se sont succédé pendant plusieurs jours auprès de l’empereur, qui a reçu tout le monde avec une émotion visible, parlant à tous le langage le plus cordial, le plus sincère et même le plus libéral.

Ce souverain, dont on ne peut certes mettre en doute les sentimens religieux, mais qui n’est pas sans avoir lui-même ses démêlés avec l’église, n’a point hésité à rappeler aux évêques austro-hongrois que leur mission était de prêcher la concorde, non la guerre, d’exercer une influence pacificatrice ; il a fait appel à la modération des évêques. Une des allocutions les plus curieuses de François-Joseph est celle qu’il a adressée à des délégués de la presse qui ont voulu, eux aussi, le féliciter, et certainement rien ne prouve mieux l’immense transformation intérieure qui s’est accomplie en Autriche. L’empereur s’est exprimé à la façon d’un souverain constitutionnel et libéral qui ne redoute nullement les manifestations de l’opinion publique. Il a déclaré sans effort, sans réticence, qu’il appréciait pleinement « les avantages d’une presse libre, » qui, en contribuant au développement de la vie intellectuelle, apprenait « à connaître et à juger sainement tout ce qui a rapport à la vie publique. » Sauvegarder sa propre dignité en s’abstenant d’intervenir