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dans la sphère de la vie privée, « discuter les affaires d’état avec autant d’indépendance que de patriotisme, » c’est le rôle, c’est le droit de la presse selon le souverain de l’Autriche nouvelle. Il serait à souhaiter que ce programme d’un empereur d’Autriche fût suivi partout où il y a des gouvernemens que la presse effraie toujours, et partout où il y a une presse portée à oublier son vrai rôle et sa dignité pour avilir l’esprit public par une littérature subalterne de commérages.

S’il est des pays qui ont la vie régulière et facile, il en est aussi où les crises deviennent une sorte de maladie chronique, où les difficultés intérieures déjà plus que suffisantes se compliquent et s’aggravent tout à coup des difficultés extérieures les plus imprévues. C’est ainsi que l’Espagne, livrée à la révolution et à la guerre civile, s’est trouvée subitement et sans y songer en querelle avec les États-Unis au sujet de ce navire, le Virgînius, capturé en mer par les autorités de Cuba sous prétexte de piraterie. Les autorités de Cuba n’avaient point assurément créé une situation facile au cabinet de Madrid : elles avaient commencé par fusiller sommairement bon nombre d’hommes de l’équipage et de passagers américains ou anglais, en retenant, bien entendu, le navire ; par ces mesures violentes, elles avaient pris le meilleur moyen pour exciter la fureur américaine, et lorsque le cabinet de Washington, pressé par l’opinion, a élevé des réclamations faciles à prévoir dans tous les cas, le chef du gouvernement espagnol, M. Castelar, s’est trouvé placé entre la révolte de l’orgueil national, prenant parti pour les autorités cubaines, et la nécessité inexorable qui pesait sur lui. Résister nettement et ouvertement aux sommations impérieuses des États-Unis, refuser les satisfactions qu’on demandait, c’était tout simplement donner aux Américains un prétexte d’intervenir à Cuba, d’en finir avec ce qui reste de domination espagnole. Le premier acte du cabinet de Washington eût été sans doute de reconnaître comme belligérans les insurgés cubains ; mais d’un autre côté, en pliant devant la nécessité, en offrant toutes les satisfactions réclamées, le gouvernement espagnol était-il sûr d’être obéi audelà des mers ?

Cette malheureuse île de Cuba est depuis des années dans la condition la plus étrange. Les chefs militaires ne sont pas eux-mêmes toujours maîtres de leurs résolutions. Les ordres qui viennent de Madrid sont à peine respectés. Un parti violent à Cuba, le parti favorable à l’esclavage, ne parlait de rien moins que d’accepter la guerre avec les États-Unis. Le gouverneur de l’île, le général Jovellar, ne se croyait pas trop en mesure de dominer cette effervescence et de pouvoir exécuter les instructions de la métropole. M. Castelar, au milieu de ces embarras, a fait ce qu’il a pu ; il a discuté, il a négocié, il s’est efforcé de sauver l’honneur en proposant un arbitrage, en offrant de soumettre à