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III.

Pendant que M. de Bunsen subissait de tels assauts, le roi de Prusse avait à en repousser d’autres en sens contraire. Le tsar, inquiet de l’attitude de l’Autriche et des indécisions de la Prusse, avait voulu reprendre, par son influence personnelle, l’autorité qu’il exerçait depuis longtemps sur les cours allemandes. Le 24 septembre 1853, il se rend au camp d’Olmütz, où l’empereur d’Autriche était venu passer la revue de ses troupes ; il espérait que Frédéric-Guillaume IV, sur sa prière, ne tarderait pas à s’y rendre, et que cette réunion des trois souverains, rappelant la sainte-alliance de 1815, ferait hésiter l’Angleterre et la France. N’oublions pas qu’à ce moment-là même les choses sont arrivées à la dernière extrémité, qu’après des négociations aussi laborieuses que vaines la guerre est imminente, et que la Russie tente un suprême effort pour circonscrire la lutte entre elle et la Turquie. Si l’Autriche et la Prusse sont du côté de la Russie, n’y a-t-il pas encore quelque chance de faire hésiter les puissances occidentales ? Le tsar se rend donc à Olmütz le 24 septembre 1853 et fait inviter le roi de Prusse à venir l’y joindre. M. de Manteuffel conseille au roi de refuser l’invitation. Pendant ce temps, les choses marchent ; c’est le 26 septembre que le grand-conseil national de la Turquie, réuni au palais du divan, déclare les négociations épuisées, ordonne les dernières mesures de défense et en remet l’exécution au sultan. Le 28 septembre, le tsar quitte Olmütz et se rend à Varsovie, essayant de préparer sur un autre terrain l’entrevue qui n’a pu avoir lieu en Autriche. Deux fois un aide-de-camp du tsar vient inviter Frédéric-Guillaume IV ; le roi tient bon, car il négocie par Bunsen avec Londres, et il a peur de son affection, de son dévoûment à la personne de son beau-frère. S’il le voit, s’il lui parle, pourra-t-il se soustraire à l’autorité de cette âme qui lui paraît si grande ? Il refuse deux fois, mais la troisième invitation est tellement pressante qu’il lui est impossible de résister plus longtemps. Il part, seulement il part sans ministres, sans conseillers, surtout sans aucune des personnes de la cour connues pour leurs sympathies russes ; il n’a d’autre escorte que deux officiers d’ordonnance. Il faut qu’on sache bien que ce n’est pas un voyage politique. Le 2 octobre, le roi de Prusse arrive à Varsovie, où l’empereur d’Autriche s’est rendu de son côté ; le 6, il est de retour à Sans-Souci, et c’est là que le lendemain 7 le tsar vient lui rendre sa visite. Il paraît bien que Frédéric-Guillaume ne fit aucune concession à son beau-frère ; mais qu’on se représente les anxiétés et les colères du gouvernement anglais, les craintes et les perplexités de M. de Bunsen pendant ces entrevues. C’est quelques semaines